Ferus était présent lors de 2 exposés donnés par Carter Niemeyer, l’un à St-Martin de Vésubie le 3 novembre et l’autre à Paris le 6 novembre.
Carter Niemeyer a été l’un des principaux artisans de la réintroduction du loup dans les Rocheuses pour le Fish and Wildlife Service. Il vient de prendre sa retraite et travaille maintenant comme consultant (notamment pour l’Idaho où il vit, l’un des trois états concernés avec le Wyoming et le Montana). Il est à la fois homme de terrain, de bureau, biologiste et trappeur, artisan de la réintroduction de meutes et gestionnaire, y compris régulateur de loups. Il a notamment insisté sur l’avantage qu’il y avait aux USA d’avoir concentré en une seule personne les pouvoirs de décider des translocations, de la négociation avec les éleveurs, de l’éventuelle élimination de loups, le tout dans le cadre bien sûr des lois fédérales et du protocole de gestion.
Il est venu passer trois semaines en France, notamment dans le Mercantour, pour montrer aux Français (Parc du Mercantour, ONCFS, Fédération des chasseurs des Alpes Maritimes, partenaires d’un programme d’études sur les relations loups/proies sauvages) comment capturer des loups.
La réintroduction de loups en provenance du Canada a été décidée à la fin des années 80 sur un territoire des Rocheuses à peu près grand comme la France (deux meutes étaient déjà revenues dans le nord du Montana en franchissant la frontière canadienne). 66 loups ont été lâchés sur deux ans dans l’ Idaho et le Yellowstone (superficie du parc national de Yellowstone : environ 4 départements français). En 2006, il y a plus de 1200 loups issus des 66 loups lâchés.
Comme chez nous, ils étaient au début confrontés à deux attitudes très radicales et opposées (les amis des loups et de la vie sauvage qui disaient « nous avons pris cette terre aux animaux, il faut les laisser se réinstaller et ne pas intervenir » et les éleveurs « nos grands parents sont venus à bout des prédateurs, ce n’est pas pour que le gouvernement nous en remette »). Au bout de vingt ans de communication ciblée et de milliers de rencontres, la majorité des gens se rapproche d’un point médian et accepte qui les loups, qui le principe de la gestion même si les radicaux demeurent très actifs.
97% des éleveurs de moutons ont des chiens de protection alors qu’aucun n’en avait il y a vingt ans.Au début ils recevaient des aides pour en acquérir dans le cadre d’un programme expérimental mais maintenant ils ne sont plus aidés. Le couple berger/chien est de loin le moyen qui marche le mieux (pour les moutons car on ne garde pas les vaches). Pour celles-ci comme aussi les moutons, les clôtures diverses (y compris électriques) marchent mais à condition de ne pas laisser le loup s’y adapter. Ils expérimentent des clôtures avec des rubans de couleur ou banderoles (vieille technique des chasseurs et c’est vrai que le loup hésite à franchir des banderoles que le vent secoue). Les répulsifs et vomitifs ne marchent pas sur le terrain même si des gens disent le contraire en labo. Pour Carter Niemeyer, les tirs d’effarouchement à balle en caoutchouc ne servent pas à grand chose.
On a mentionné les ânes ; c’est vrai que les ânes chargent les canidés mais certains mordent aussi les moutons et les dispersent ! L’âne semble utile pour les petites unités de moins de trente têtes. Ils expérimentent aussi des gadgets amusants comme les cris d’alarme, bruits d’arme à feu, galops de chevaux et autres sons destinés à effaroucher qui sont déclenchés par le loup lui même s’il est équipé d’un collier avec une fréquence donnée. Mais de nombreux loups sont équipés…
Quand une meute attaque du bétail, on commence par tenter de poser des colliers aux dominants, puis si elle persiste on essaie une délocalisation vers une zone vierge (mais il ne s’en trouve plus guère), enfin on tue un ou deux animaux et si ça ne suffit pas on tue toute la meute. Il faut noter que les Américains tolèrent infiniment moins de pertes que les Français et Carter Niemeyer a été impressionné par le montant des moutons tués par quelques loups en France (les 1200 loups qu’il suit en tuent moins de 300, mais beaucoup de meutes ne croisent pas de bétail). Les éleveurs ont alors le droit de tirer sur les loups lors des attaques sans autorisation préalable et rendent compte après.
Il n’a noté aucune attaque prouvée sur des êtres humains de la part des milliers de loups qu’il suit depuis 20 ans. Même pas sur ceux qui vont attraper des louveteaux dans les tanières pour les marquer.
Ils n’ont pas fait d’études lourdes sur l’impact des loups sur les proies sauvages mais malgré les dires des chasseurs, il semble négligeable puisque les populations de proies ne varient pas du fait des loups.
Les loups américains des Rocheuses ne sont pas « en haut » comme les loups des Alpes qui vont chercher les chamois, les mouflons, les bouquetins vers les sommets. Carter Niemeyer a du crapahuter dans le Mercantour alors qu’en Amérique il suit la plupart des loups équipés de colliers et les voit en voiture, dans les plaines, où sont les bisons et les wapitis.
Dans le Yellowstone, il y aurait actuellement quelque 12 meutes. L’une d’entre elle a compté 37 individus (aujourd’hui 30), probablement du fait d’une grande abondance de proies couplée avec le vide d’un territoire où aucun loup ne vivait plus depuis des dizaines d’années. Il y avait dans cette meute quatre ou cinq femelles reproductrices. Les interactions fatales entre meutes de cette taille sont fréquentes et meurtrières.
Les Américains équipent la plupart des loups du Yellowstone de colliers (2000 dollars par équipement dus surtout au prix de l’heure d’hélicoptère car ils flèchent les loups à l’anesthésiant depuis des hélicoptères ce qui serait impossible dans nos montagnes).
Pour Carter Niemeyer on peut chasser (tuer) environ 35% d’une population de loups en bon état sans nuire à son maintien, voire à son léger accroissement. L’Idaho a défini dans sa loi 15 couples reproducteurs comme le seuil au dessus duquel on pouvait considérer le loup en bon état (il y a 36 couples reproducteurs prouvés et 61 zones d’occupation permanente en Idaho). Il y a un débat actuel pour savoir si on déclassera le loup des Rocheuses de manière à pouvoir le chasser avec des quotas ciblés sur les zones d’élevage -comme on le fait pour le puma. L’Idaho et le Montana sont pour, le Wyoming contre. Le même débat a lieu au même endroit pour le grizzly.
Les pertes dues au braconnage sont faibles (ils ont des statistiques sérieuses grâce aux colliers). Environ 3 à 5% de la population.
Carter Niemeyer a exposé ses méthodes de piégeage aux Français qui se sont déclarés très contents. Il faut piéger près des loups repérés et pas seulement au hasard, dans des zones qu’ils fréquentent. L’emploi du lacet à patte n’était pas familier à Carter Niemeyer (il utilise des pièges classiques à mâchoire rembourrée de caoutchouc) mais selon lui, la nature du piège n’est pas le principal obstacle. Il faudrait pouvoir piéger près de tanières connues ou sur les places de rassemblement des loups.