Questions à Jean-Luc Borelli, chargé de l’écovolontariat à FERUS.
Jean-Luc, au fur et à mesure que l’écovolontariat se développe, quelques interrogations ou critiques se font entendre…
La première porte sur l’aspect encore marginal de Pastoraloup.. Pourquoi si peu d’éleveurs semblent intéressés ?
Ce concept est très novateur pour le monde de l’élevage de montagne. Il faut « laisser le temps de voir » aux gens de la profession et continuer à présenter et expliquer notre démarche, nos ambitions et nos limites. Ils ont besoin d’être bien informé, de se sentir en confiance et de « mûrir » l’idée. Tout cela, c’est légitime, demande du temps. Même si Pastoraloup ne s’adaptera jamais à toutes les situations, il y a certainement dans chaque massif concerné par le prédateur des éleveurs potentiellement intéressés, à nous de les « démarcher » Le programme est encore jeune, il est né dans les Monges et commence à s’exporter. Pastoraloup fait doucement son chemin.
Certains pensent que la confrontation du monde des éleveurs hostiles au loup et de celui des bénévoles favorables à sa protection, si elle est intéressante sur le plan humain, se traduit plus par une prise de conscience par les écovolontaires de la difficulté du métier de berger que par un début d’acceptation du loup par les éleveurs…
Pastoraloup n’est pas la confrontation de deux mondes, mais la rencontre de ces deux mondes, nuance !
Ensuite, pourquoi reprocher aux écovolontaires de se rendre compte de la réalité : protéger un troupeau contre un prédateur n’est pas simple même avec de la bonne volonté. Il semble que certains protecteurs des grands prédateurs un peu radicaux ont du mal à reconnaître cette réalité. Que les écovolontaires par leur expérience le soulignent les dérange. Il faut arrêter de croire que les éleveurs ne font pas leur boulot, qu’ils ne protègent pas leur troupeau. Aujourd’hui, c’est loin d’être la règle. Mais, même si les mesures de protection sont efficaces, ce n’est pas une mince affaire de les appliquer.
Quant à l’acceptation du loup par les éleveurs, le fait même d’accueillir des écovolontaires est un pas significatif pour eux vers la cohabitation. « Prendre un écovolontaire » comme on dit n’est pas un geste anodin, au sein de la profession, c’est même encore assez engagé. Aussi, ce serait un petit peu grotesque et naïf de reprocher aux éleveurs partenaires du programme de ne pas crier haut et fort « Vive le Loup » sous prétexte qu’ils collaborent avec FERUS. Dans tous les cas ce n’est pas notre objectif. Comme le souligne une étude d’I. Mauz du CEMAGREF : « il n’est pas nécessaire d’être en accord sur tout pour travailler ensemble » C’est parce que depuis dix ans chaque camp s’obstine à vouloir convaincre l’autre de l’irréfutabilité de ses positions que la situation reste figée. Aujourd’hui, finalement, c’est autant aux éleveurs et bergers qu’aux « écolos » de faire des efforts dans ce dossier.
« Chez pastoraloup », on ne demande pas aux éleveur d’être pour le loup (sic), on essai de protéger ensemble et au mieux les troupeaux pour limiter la casse. Moins il y a de dégâts, moins on ira chercher des poux au loup ! Alors que les scientifiques du monde entier s’accordent à dire que la préservation des grands carnivores passe par la résolution de la problématique prédateur-pastoralisme, certains en sont encore à s’interroger sur le lien entre Pastoraloup et la protection du loup. Effectivement nettoyer bénévolement un oiseau mazouté lors d’une marée noire, c’est un acte écovolontaire plus clair, on voit bien que cela sert à sauver l’animal qu’on a dans les gants !! Pour la protection du loup c’est plus complexe !
Les écovolontaires doivent -ils s’impliquer dans des tâches annexes, comme aider à retaper des cabanes ou des clôtures ou autres travaux sans rapport direct avec la surveillance du troupeau ?
La surveillance permanente du troupeau n’est qu’une des mesures de protection. Les écovolontaires en estives s’y appliquent, comme ils s’appliquent à d’autres tâches sans rapport avec la surveillance mais toujours liées à la présence du loup et la protection du troupeau. Montage, démontage, déplacement des parcs de regroupement nocturne, entretien et des filets, des clôtures, des batteries solaires, nourrissage des chiens de protection…
La protection des troupeaux se pense aussi et d’abord en amont, dans le système d’exploitation (gestion du cheptel, des ressources …) l’aménagement des pâturages et l’amélioration des conditions de vie du berger sur ces pâturages. Les écovolontaires eux peuvent intervenir dans l’aménagement des sites : agrandir une cabane pourra permettre à un éleveur ou berger d’accueillir un aide berger (ou même un écovolontaire !) qui le secondera dans la protection. Nettoyer un lieu de chaume, couchade ou point d’eau permettra au berger (ou à l’écovolontaire !) et aux chiens de mieux surveiller le troupeau dans ces moments de vulnérabilité. Retaper une clôture pour rassembler le troupeau permettra également une meilleure surveillance par l’homme et surtout un meilleur travail des chiens de protection. CQFD.
Là encore on évolue dans « le lien indirect » : un écovolontaire participe à un chantier qui indirectement facilitera la protection du troupeau qui indirectement favorisera l’acceptation du loup qui indirectement assurera sa conservation, ouf !
Mais soyons clairs, les écovolontaires sont auprès du berger parce qu’un prédateur menace son troupeau. Tout ce qu’ils sont amenés à faire à ses cotés est lié à la protection du troupeau et cela représente déjà pas mal de boulôt ! Pastoraloup n’est pas une agence de voyage pour citadin en mal d’expérience bucolique. La présence de l’écovolontaires ne se justifie que par celle potentielle du Loup dans le secteur. Même si l’action se déroule dans un cadre agréable et dépaysant, l’écovolontaire est vraiment là pour aider à résoudre une problématique difficile de cohabitation entre élevage et prédateurs.
Les écovolontaires ne peuvent-ils être perçus comme des concurrents des aides-bergers ? N’est-ce pas quelque part une main d’œuvre gratuite un peu facile ?
Peut-on reprocher aux « restos du cœur » de faire de la concurrence aux épiceries de quartier ! Plus sérieusement, c’est vrai que les missions d’un écovolontaires en estive se rapprochent de celle demandées à un aide-berger salarié tel que définit par le programme LIFE par exemple, c’est à dire : » Assurer le surcroît de travail qu’impose la présence des prédateurs sur le pâturage » Mais, l’écovolontaire accomplit avant tout un acte militant, un geste d’éco-citoyenneté où il se souci autant de la pérennité des activités humaines que de la conservation de la biodiversité. Il y a dans l’écovolontariat une dimension humaine supplémentaire, au travers de la rencontre et du rapprochement des deux mondes « pro et anti-loup ».
Quant à savoir si l’écovolontariat fait réellement de la concurrence aux emplois d’aide berger, je donnerais simplement quelques chiffres concernant les Alpes : il y a en période d’estive dans l’arc alpin plus de 2700 éleveurs, sur les départements concernés par le loup, dont environ 1200 en zone de présence du loup. Le programme LIFE en moyenne fournissait, par an, 100 postes d’aide berger. Si on ramène les chiffres Pastoraloup aux critères LIFE, on arrive pour 2003 à l’équivalent de 4 postes « d’aide berger » pour la période d’estive ! Je pense qu’il y a encore « malheureusement » de la place pour tout le monde sur les alpages. D’ailleurs, pas mal d’éleveurs vous diront qu’il leur est aujourd’hui difficile de trouver un berger ou un aide-berger qualifié. Pastoraloup n’enlève, pour l’instant je crois, le pain de la bouche à personne, Pastoraloup tente surtout d’enlever l’agneau de la bouche du loup !! En cela, l’écovolontaire est complémentaire du berger ou de l’aide berger en prenant par exemple le relais pour la surveillance nocturne.
Cependant, nous devons nous préserver de cette dérive potentielle vers une concurrence déloyale ou d’une quelconque récupération par tel ou tel organisme pour pallier les manquements de certaines institutions à même de former et placer du personnel qualifié. Pastoraloup n’a pas vocation à faire de « l’intérim » pour bergers et aide-bergers au rabais, nos motivations sont ailleurs bien sur. Au contraire cela nous permet de mettre en évidence auprès des décideurs les difficultés que rencontre la profession et cela a déjà suscité quelques vocations chez des écovolontaires qui suite à leur expérience se sont professionnalisés en rejoignant les filières classiques.
Au sujet d’une main d’œuvre gratuite un peu facile : l’écovolontariat est par définition une main d’œuvre gratuite ! Mais on l’a vu, une main d’œuvre militante au service d’une cause et de la communauté. Certes Pastoraloup à ses débuts a connu des dérapages quant à l’utilisation abusive des écovolontaires comme simples ouvriers agricoles. Aujourd’hui nous sommes plus vigilants, nos objectifs sont plus clairement affirmés. Pour autant, il serait excessif de reprocher à un écovolontaire d’aider à temps perdu sur l’alpage l’éleveur à « faire du bois » pour se chauffer le soir à la cabane ou de l’aider à maîtriser un bélier un peu rebelle pour lui faire des soins. Ces petits « à cotés » ne font pas de nos écovolontaires des travailleurs clandestins, simplement ils témoignent dans ces cas là de la bonne entente entre les personnes. Ce qui finalement est un de nos objectifs : la réconciliation des « opposants » !
Cette initiative est-elle encouragée par les collectivités locales, les élus, les administrations ?
Ce concept « éleveur-écolo, ensembles pour la cohabitation » est encore surréaliste pour pas mal d’acteurs dans ce dossier. Autant chez les « pros » que chez les « anti », justement parce que nous tentons d’atténuer ce clivage ! Hormis le monde de l’élevage, association, élus, administration en sont encore au stade de la découverte et de la suspicion vis à vis de Pastoraloup : « Qu’est ce que c’est que ce truc qui vient chambouler l’ordre binaire établit », ce monde à la George Bush où si l’on n’est pas forcément « pour » on est forcément « contre » et inversement !
Bref, là encore il nous faut informer, expliquer, et montrer la sincérité de notre démarche. D’une manière générale il est encore difficile aux collectivités locales et surtout aux élus de nous suivrent dans cette voie : trop de pression, trop d’enjeux électoralistes ! Pourtant il ne tient souvent qu’à un geste d’un élu local pour que la situation se débloque et que toutes les bonnes volontés puissent se révéler et œuvrer de concert sur le terrain. Au niveau des administrations, la situation est moins figée, petit à petit des collaborations se concrétisent. Il faut ici souligner l’engagement financier de la DIREN PACA aux cotés de FERUS, spécialement pour le fonctionnement de Pastoraloup.
Devant les propos assez radicaux de certains groupes d’éleveurs hostiles au loup ou à l’ours, penses-tu que le dialogue favorisé par Pastoraloup puisse être un élément suffisant pour faire accepter à terme les grands carnivores ?
Les positions radicales de certains leaders professionnels ne sont pas forcément représentatives. Néanmoins c’est bien l’absence de dialogue et de concertation honnête, sincère, et constructif qui a plombé le dossier. Jusqu’à présent tout c’est joué sur des rapports de force, pour quels résultats : un ministre directement concerné qui « à titre personnel les tuerait tous » c’est pas gagné ! Pastoraloup, c’est pour « les gens de la base » l’occasion de sortir des tranchées et de voir ce qu’on peut faire ensemble loin des grands discours démago. Le dialogue n’est certainement pas suffisant en lui-même, mais cela me semble être le prélude à toute solution durable, cela passe par l’écoute et la reconnaissance de l’Autre. Mais dialoguer fait peur dans les deux camps, dialoguer c’est négocier et négocier de manière constructive c’est arriver à des compromis. Et pourtant quelles autres alternatives avons-nous : la force ? La politique de l’autruche ?
FERUS au travers de Pastoraloup concrétise à son niveau la rencontre, le dialogue et la collaboration avec le monde de l’élevage. Sans prétention, et sans chercher à se substituer à qui que ce soit, c’est une contribution originale à la résolution de cette problématique. Pastoraloup est critiquable et perfectible, bien sur insuffisant mais pourquoi pas nécessaire pour continuer dans cette chaotique voie de la cohabitation, à commencer celle d’entre les Hommes.
Cet article est paru dans « la Gazette des Grands Prédateurs » n°12, été 2004.