Ce 21 février 2017, un lynx considéré comme « déviant » a été capturé en Franche-Comté. Son corps contenait en fait plus d’une centaine de plombs de chasse…
Cet automne 2016, de façon très discrète, et pour le moins très éphémère, la DREAL Franche-Comté lançait une consultation publique intitulée « Effarouchement de Lynx sur la commune de Bretonvillers : enquête relative Dérogation à l’article L411-2 du code de l’environnement ». La consultation ne dura que trois jours. Il y avait urgence, le lynx « déviant » de Bretonvillers était de retour !
Ce lynx avait défrayé la chronique et agité la presse deux ans auparavant. Un lynx âgé de 12 ans semblait alors s’être spécialisé dans l’attaque et la consommation de moutons. Et cela, sur une seule et même exploitation ! Curieux comportement pour un lynx. A un tel point qu’il fut officiellement classé comme « déviant » par l’administration et l’ONCFS. Ce dernier fut chargé d’effaroucher ce drôle de lynx qui « aurait » pris goût exclusif au mouton de Bretonvillers. Avec un certain succès, faute d’un succès certain… Si on en croit « La France Agricole », journal pas forcément au top pour ce qui est de la faune sauvage, mais qui sait tirer de « bonnes » informations de l’administration française, une carcasse électrifiée fut disposée afin de dissuader le félin trop gourmand de consommer agneaux et brebis. Le lynx s’y est laissé prendre. Et a déguerpi comme un éclair de la dite exploitation. Mais le succès resta mitigé : le félin récalcitrant avait pris ses nouveaux quartiers non loin de là, un peu plus haut dans le village, et dévora les moutons du voisin…
Les représentants de fines gâchettes y allèrent alors de leurs commentaires avisés. Le président de la Fédération des Chasseurs du Doubs se montra même volontiers préteur : « Si les gardes l’attrapent et l’emmènent ailleurs, on n’y verra aucune objection… Nous avons déjà mené une étude statistique sur les populations et nous recherchons des financements pour une autre étude sur l’impact du lynx, qui chasse environ 1 500 ongulés (chevreuils et chamois) chaque année sur le massif. La nature a des droits là-dessus et on ne le conteste pas. Mais certains secteurs, comme les vallées du Dessoubre ou de la Loue, subissent une forte présence qui mériterait une gestion, en redistribuant les animaux dans d’autres régions. ». Le web-magazine « Nos Chasses.fr » se faisait sensible à la cause des ovins en titrant : « Doubs : un lynx glouton se délecte de pauvres moutons… ». Puis le lynx disparu des pâtures de Bretonvillers et des colonnes des journaux. Il se fit discret. Mais pour deux années seulement.
A son retour, et après avoir commis à nouveaux des dégâts dans la même exploitation qu’en automne 2014, le lynx, redevenu à nouveau « déviant », fut pris en chasse par les agents de l’ONCFS après qu’une rapide consultation publique fut réalisée. Et c’est ce 21 février 2017 qu’ils le capturèrent. En fait, ils l’enfermèrent dans la bergerie où l’imprudent animal était entré chaparder un nouveau mouton. Mal lui en prit. Il fut anesthésié par l’équipe du centre de soins Athenas appelé en renfort afin de contenir le fauve, le temps qu’une décision sur son avenir soit prise. Mais le lynx décéda malheureusement lors du trajet qui devait le conduire au centre.
Cette mort, jugée pour le moins suspecte, incita à une autopsie. Et là, surprise : le pauvre animal était criblé de plombs ! Pas moins de 120 plombs de chasse ont été dénombrés dans le corps et la tête. Ce lynx avait été la cible d’un tireur peu scrupuleux qui de toute évidence avait fait feu à faible distance sur l’animal, ce qui expliquait la concentration de grenaille de plomb. Une grave blessure qui remontait, d’après le vétérinaire, à 2013 ou 2014… Et qui explique sans doute qu’affaibli, ce lynx, qui n’avait jamais causé de tord aux élevages franc-comtois auparavant, s’était alors rabattu sur les moutons, proies tellement plus faciles à attraper que les chevreuils ou chamois.
Ce lynx a connu un véritable calvaire. Il est une preuve de plus du braconnage dont cette espèce est victime depuis son retour en France. Rappelons-nous que le tout premier lynx à être revenu en France en 1974 a été identifié à l’état de dépouille après avoir été abattu par un chasseur de Thoiry. Depuis, des dizaines de lynx ont été braconnés dans le Jura, mais également dans les Vosges, où il a maintenant disparu (il n’en reste qu’un actuellement, venu du Doubs voisin).
Le braconnage reste le pire des fléaux pour cette espèce. Et le restera encore longtemps si les pouvoirs publics ne se saisissent pas réellement et rapidement de ce problème. Pour une administration capable de classer un animal comme « déviant » et pouvant organiser une consultation publique expresse de trois jours seulement, cela ne devrait pas poser problème… Des mesures répressives doivent être prises assurément. Mais également par des actions éducatives envers les chasseurs, dont certains pensent encore que le lynx ferait baisser les populations de chamois et de chevreuils. Ce qui de toute évidence est complètement faux. Il y a énormément plus d’ongulés aujourd’hui dans le Jura où les Vosges qu’à l’arrivée du félidé dans les années 70 et 80. Déjà à cette époque, les premiers lynx réintroduits dans les Vosges étaient braconnés car accusés de faire disparaitre le gibier. Une ineptie pourtant encore déclamée aujourd’hui par certains représentants cynégétiques.
Pierre Athanaze, FERUS
Voir aussi : Un nouveau lynx braconné dans le Jura : quand l’Etat fera-t-il son travail? (février 2014)