Après Jean Louis Etienne (médecin et aventurier, mais totalement ignorant en matière de faune sauvage française), puis Yves Coppens (tout aussi célèbre mais lui aussi dans une discipline qui n’a rien à voir), voici Claude Allègre qui fulmine contre les ours ! Comme Ruquier ou Fogiel, il doit estimer que pour un chéri des médias parisien il est de bon ton de prendre position contre l’ours et en faveur des authentiques pâtres de nos montagnes.
Je pense d’abord que si l’on doit se tourner vers des scientifiques, ce que je ne manque jamais de faire puisque je ne le suis pas, il faut consulter les bons, ceux qui ont travaillé dans la discipline concernée. S’agissant de l’ours et de l’écologie montagnarde cela fait plus de vingt ans (depuis qu’un certain François Mitterrand a déclaré en Ariège qu’on ne pouvait pas laisser disparaître l’ours) que nous consultons des experts français et étrangers. Je fais court, TOUS ont dit d’une part, que les Pyrénées constituaient encore un habitat naturel de qualité pour l’ours, d’autre part, que sans renfort d’ours étrangers les derniers survivants pyrénéens s’éteindraient, enfin que cet apport d’ours pouvait se faire et que le programme global présenté par la France y compris les mesures en faveur de l’élevage était correcte. Si je me tourne vers les instances habilitées à s’exprimer sur l’écologie pratique, comme l’UICN, le Comité français pour l’UICN et le Conseil National de Protection de la Nature, elles ont approuvé totalement l’apport d’ours et le sauvetage de l’espèce en France.
Je pense ensuite que l’argument consistant à dire « le vrai problème est ailleurs », vieux comme les polémiques, ne vaut rien. D’abord parce que ceux qui s’intéressent à l’ours ne se mobiliseront peut être pas pour l’ablette, ils sont libres. De même que reprocher à un artiste de variétés ou à un sportif de ne pas consacrer toute son énergie à lutter contre la faim ou la maladie serait aberrant. Ensuite parce que justement ceux qui ne veulent rien faire pour l’ours ne font rien non plus pour les autres espèces ! Les gouvernements de droite comme de gauche auxquels Claude Allègre a appartenu consacrent 5 centimes par an et par Français du budget de l’Etat à l’ours (suivi scientifique, indemnisation des dégâts et accompagnement de l’économie pastorale).
Les crédits pour la faune, la flore, la nature et la biodiversité dans le budget de l’Etat sont de 2 euros par an et par Français. Et les crédits de subvention aux activités agricoles (souvent intensives et polluantes) sont de plus de cent euros par an et par Français… Ce sont les gouvernements de gauche comme de droite qui sont incapables de faire payer aux agriculteurs une part même minime des dommages qu’ils causent aux milieux aquatiques, au grand dam des sandres, brochets, perches et truites chers à Claude Allègre. Accessoirement aucune de ces espèces, certes ponctuellement en régression, n’est menacée de disparition et si cela a un vague sens les engagements internationaux de la France comportent des obligations plus fortes vis à vis d’espèces comme l’ours que des sandres et des truites. Accessoirement aussi le sandre est une espèce invasive répandue artificiellement par les pêcheurs.
Oui l’ours brun n’est pas menacé à court terme d’extinction dans le monde, mais s’en détourner améliorera-t-il le sort de l’esturgeon d’Europe « acipenser sturio » qui lui est endémique en Gironde et au bord de l’extinction définitive ? A quand une mobilisation de MM Etienne, Coppens et Allègre en faveur de l’esturgeon, sachant qu’ils ne seront pas invités à la télé pour en parler ?
Oui l’ours cause quelques dégâts aux troupeaux (un pour mille des moutons de la zone qu’il fréquente), mais en tant que contribuable qui finance les moutons via les primes de la PAC (sans lesquelles il n’y aurait plus une seule brebis en France) j’ai le droit de m’exprimer et de vouloir payer quelques centimes de plus pour garder des ours.
Non les éleveurs ne sont pas impuissants, ils disaient la même chose à l’arrivée du loup dans les Alpes et avec les mesures de prévention des attaques financées par l’Etat ils sont toujours là dix ans plus tard et les loups aussi. Accessoirement toujours, une partie non négligeable de ces éleveurs sont installés depuis peu, ce sont des néo ruraux, ce que je ne leur reproche absolument pas. Mais ils ne peuvent pas être les seuls à se façonner une montagne à leurs goûts.
Bref l’écologie n’a rien à voir là dedans, il s’agit d’un choix culturel et citoyen, nous sommes nombreux à vouloir des ours (et des insectes, et des amphibiens dans nos campagnes, et moins de pesticides dans nos champs et dans nos organismes) et nous rejetons les arguments d’autorité surtout quand ils émanent de personnes qui connaissent mal la question.
Gilbert Simon, vice-président de FERUS