Confessions d’un éleveur de loup en appartement
par Pierre Jouventin
Article paru dans la Gazette des grands prédateurs n°45 (août 2012)
Je ne suis ni le premier, ni le dernier que les aléas de la vie ont amené à renier ses convictions. Pendant un demi-siècle, comme Directeur de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, j’ai arpenté les grands espaces vierges, de la forêt équatoriale à l’Antarctique et les îles environnantes (où j’ai séjourné près de neuf années). J’y étudiais les oiseaux et mammifères en liberté car j’étais spécialiste de l’écologie et de l’éthologie des animaux sauvages. La sélection naturelle a modelé fortement les mœurs d’espèces étonnantes comme le manchot empereur, le grand albatros, l’éléphant de mer ou le mandrill. Des adaptations inimaginables sont apparues au cours de l’évolution qui permettent à ces animaux emblématiques de survivre dans ces milieux extrêmes. C’est donc seulement sur le terrain que l’on peut comprendre le pourquoi de ces comportements extraordinaires que j’observais.
Outre l’absence du biais de la captivité, idéal pour une étude scientifique objective, j’évitais de priver l’animal de liberté et de le faire vivre dans des conditions dégradantes ce qui soulageait ma conscience. J’ai en effet toujours été soucieux d’éviter les souffrances inutiles et j’ai manqué devoir arrêter mes études de biologie pour avoir refusé de disséquer des lapins vivants lors des travaux pratiques de physiologie animale. Il a fallu que j’obtienne une équivalence de diplômes pour que ma carrière de chercheur en éthologie ne s’arrête pas là. Ayant été recruté quinze jours avant le départ pour un séjour de quatorze mois en Terre Adélie, j’ai aussi refusé d’effectuer les expériences de physiologie qui étaient prévues sur les manchots empereurs et j’ai pu réaliser un programme d’enregistrement de leurs chants car il était trop tard pour me remplacer. Entre mes longues missions, j’analysais mes données à la Faculté des Sciences de Montpellier et publiais les résultats de mes recherches. Parfois, le Directeur du zoo municipal me demandait conseil pour mieux élever les animaux qu’il montrait au public. C’est ainsi qu’il m’apprit qu’une campagne critique sur les conditions d’élevage des loups en zoo lui avait enlevé toute possibilité de céder à d’autres établissements les jeunes de la portée qui venait de naître et que, manquant de place, il allait devoir les sacrifier.
Je lui avais confié que ma compagne était une inconditionnelle de cet animal mythique, allant dans son enfance jusqu’à pleurer la mort du grand méchant loup lorsque les chasseurs le tuaient à la fin du « Petit chaperon rouge » ! Son rêve avait toujours été d’en élever un, ce qu’elle croyait utopique mais que je savais possible par mon métier. On sait que l’amour et la jeunesse rendent aveugle et cette adoption chimérique devenait subitement réalisable suite à la proposition du Directeur…
Les contraintes et les responsabilités de l’adoption d’un animal redoutable ne faisaient pas peur à un jeune couple avec enfant. Pourtant nous avions la malchance d’habiter dans moins de 100 m² en plein centre-ville au deuxième étage… Notre maison avec un enclos clôturé était en construction et nous pensions naïvement déménager dans quelques mois. Nous avons donc accepté d’adopter une petite louve qui n’avait pas encore ouvert les yeux : ma femme et mon fils étaient comblés !
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