Les hurlements provoqués (hurler aux loups et attendre leur réponse) sont régulièrement utilisés de par le monde, que ce soit dans le cadre d’activités écotouristiques ou par les gestionnaires de la faune sauvage – pour situer les meutes notamment. Il en va de même en France depuis le retour du loup : on hurle aux loups lors de randonnées et c’est également un moyen pour les agents de l’ONCFS ou des parcs nationaux pour détecter la reproduction au sein des meutes, les hurlements des louveteaux en été étant caractéristiques par rapport à celui des adultes.
Mais quel impact sur la dynamique des meutes et leurs territoires ? Les hurlements étrangers peuvent en effet être perçus comme venant de loups étrangers et le loup est une espèce très territoriale.
Jusqu’à présent, les études se focalisaient surtout sur les taux de réponse des loups alors que les autres aspects écologiques (déplacements, cohésion de la meute) étaient largement ignorés.
Une étude, dirigée par Mathieu Leblond du Département de biologie et Centre d’études nordiques (Québec, Canada) et parue en janvier dernier dans la Revue canadienne de zoologie, a évalué l’utilisation de l’espace par les loups en réponse à des hurlements provoqués. Vingt-deux loups de la Forêt Montmorency au Québec ont été équipés de colliers GPS entre 2005 et 2008 mais seulement quatre loups étaient toujours présents dans l’aire d’étude lorsque les sessions d’hurlements provoqués ont été conduites, de juillet à octobre 2008. La distance et l’orientation des loups, leurs taux de déplacement et leur distance moyenne par rapport aux autres membres de la meute (utilisée comme indice de cohésion de la meute) ont été mesurés.
Le taux de réponse des loups de la Forêt Montmorency a été de 5 %. Un faible taux mais comparable aux autres études conduites dans l’est du Canada. Des études antérieures ont révélé que le taux de réponse moyen des loups et des coyotes étaient de 25 % mais que cela pouvait varier de 0,1 à 56,8 %. Harrington and Mech (1979) ont constaté que les loups non répondant, souvent des loups solitaires ou appartenant à de petites meutes, se sont retirés 34% du temps après avoir entendu des hurlements simulés. Ils ont aussi remarqué (ainsi que Harrington en 1986) que les loups du Minnesota s’approchaient rarement des hurleurs humains et restaient principalement là où ils étaient. Inversement, les loups de la présente étude se sont rapprochés des spots de hurlements provoqués, suggérant peut-être qu’ils voulaient identifier la source de ces hurlements inconnus. Cependant, les loups de la Forêt Montmorency restaient à plusieurs kilomètres (en moyenne 13 km avant les hurlements et 9,5 km après) alors que lors des deux études citées précédemment, les hurlements avaient lieu à 100-900 mètres des loups. Il est probable que la réaction des loups de Montmorency soit différente à cause de la grande distance les séparant de la source des stimuli.
D’autre part, les loups se sont légèrement rapprochés des autres membres de la meute. La cohésion de la meute semble donc comparable à ce qu’elle était avant les séances d’appels.
En conclusion, ces nouveaux résultats montrent que les loups se sont approchés des stations d’appel et étaient plus près des autres membres de la meute mais ces réactions étaient de faible ampleur. L’impact des hurlements provoqués semble donc être de faible importance. Il faudrait toutefois confirmer cette conclusion sur un plus grand nombre de loups, de meutes et de sessions de hurlements provoqués.
En attendant, les chercheurs de l’étude préconisent de se montrer plus prudents : « Il serait sage d’espacer les séances d’appel dans le temps et de diversifier les lieux où elles se déroulent. Si on utilise régulièrement le même endroit, les loups pourraient croire qu’une meute occupe véritablement ce territoire, ce qui pourrait nuire à l’utilisation d’un habitat convenable pour l’espèce. Il faut laisser la place aux vrais loups » indique Mathieu Leblond.