Juin 2018
Éditorial par Patrick Leyrissoux
Gérer, valeur ajoutée…
Ces termes de management d’entreprise ressortent de temps en temps au fil des conversations. Dans la rudesse des évènements, ou devant la sécheresse d’un compte d’exploitation qui conditionne l’existence d’une association, ils ont certes leur rôle, voire sont indispensables.
Mais seul(e) face à un versant de montagne glissant dans l’obscurité, et que l’on pressent confusément habité par une présence, ces termes n’ont plus guère de sens… C’est le rêve qui prend leur place, et qui nous habite in fine.
Jean-Jacques Camarra lui-même, qui est à l’origine de bien des choses, a écrit un livre de rêveur, rêveur dans l’action, avec « Boulevard des ours ». Rétrospectivement, il en ressort une profonde nostalgie, voire mélancolie, quand on songe au sort de cette population ursine. Je ne peux m’empêcher de penser que ceux qui ont présidé à cette disparition n’avaient que ces mots à la bouche : gérer, valeur ajoutée… mots aussi fréquemment usités dans le monde de la chasse.
Ils sont les chiens de garde d’un utilitarisme, parfois anthropocentrique, que nous évoquons parfois pour justifier l’existence de nos grands prédateurs. Espèce parapluie, économie nature, utilité pour les forestiers, etc. Certes, encore une fois il le faut peut-être, nous ne vivons pas d’amour et d’eau fraîche. Mais ne perdons pas de vue que le fondement de nos motivations a des racines beaucoup plus profondes.
Devant l’incompréhension de sa famille d’industriels, le célèbre alpiniste Lionel Terray s’était qualifié de « conquérant de l’inutile ».
Avant de disparaître dans les solitudes stratosphériques de l’arête Nord de l’Everest, en 1924, Georges Leigh Mallory avait déclaré à la bonne société britannique, qui ne comprenait pas ce qui sous-tendait l’ascension d’une telle montagne : « parce qu’elle est là ! ».
Qu’est-ce qui nous pousse, pour certain(e)s à passer des heures d’affût sous le vent et la pluie, pour la vision fugitive d’une présence animale ?
Pour d’autres à souffrir les mille morts sous les 25 kg d’un sac à dos, pour apercevoir à des centaines de kilomètres la silhouette embrumée d’une lointaine montagne, ou les ombres s’allonger sous la lumière flamboyante d’une aube ou d’un crépuscule ?
Les rédacteurs de la déclaration des droits de l’homme n’étaient-ils pas motivés par un rêve ?
L’abolition de l’esclavage n’a-t-elle pas été portée par le rêve d’un humanisme élargi, face à l’utilitarisme d’une économie cotonnière mise en danger ? Ça ne vous rappelle rien ?
Alors oui, sous la chape de plomb d’une rude réalité, utilisons ces mots qui peuvent être indispensables, mais strictement à bon escient, et avec les distances de sécurité qui s’imposent.
Gardons les pieds sur terre mais la tête dans les nuages.
Parce que la protection de nos grands prédateurs est fondamentalement guidée par le fait « qu’ils sont là ».
Nos motivations profondes sont en fait d’une autre nature, d’une autre matière, impalpable, évanescente… comme 95% de ce qui compose l’univers.
Patrick Leyrissoux, administrateur de FERUS
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