La Suisse veut franchir un nouveau palier et demande le déclassement du loup lors de la prochaine réunion de la Convention de Berne le 29 novembre. La Société Nationale de Protection de la Nature, le WWF France et FERUS ont réagi en adressant le courrier cidessous au ministre de l’Ecologie, à la Commission de Bruxelles et au Conseil de l’Europe.
Convention de Berne
Comité permanent du 29 novembre 2004
Proposition Suisse visant à faire passer le loup de l’annexe II à l’annexe III
Les associations françaises signataires demandent instamment au ministre de l’Ecologie et du Développement durable et au gouvernement français de s’opposer, lors des discussions qui pourraient avoir lieu dans le cadre de l’Union Européenne aux fins d’arrêter une position communautaire, à la demande de la Suisse concernant le loup.
L’exposé des motifs développé par l’Office Fédéral de l’Environnement, des Forêts et du Paysage est empli d’erreurs, de contrevérités et d’interprétation abusives des textes et des faits. Nous ne doutons pas que le gouvernement français aura de son côté abouti aux mêmes conclusions et nous ne développerons pas très longuement nos arguments.
La Suisse commence par soutenir qu’un déclassement du loup « garantirait une protection uniforme du loup à l’échelle européenne ». A ce compte l’alignement systématique du statut de protection de toutes les espèces sur le pays qui propose le niveau le plus faible, voire pas de protection du tout, deviendrait la règle et garantirait l’uniformisation parfaite des statuts de protection ! Si la Convention a prévu la possibilité de différences dans les statuts de protection d’une même espèce selon les pays, c’est que ces nuances au demeurant faciles à comprendre et à traduire en droit interne paraissaient aux parties plus conformes à leurs intérêts et à ceux des espèces que la recherche de l’uniformisation à tout prix. Laisser entendre au passage que le déclassement « garantirait » donc « améliorerait » la protection n’est pas une présentation honnête.
La Suisse met en avant l’évolution des populations de loups en Europe. Elle mentionne le plan d’action pour la conservation des loups en Europe pour rappeler que les loups ont colonisé de nouveaux pays depuis l’élaboration de la Convention de Berne. Ce plan d’action dit (chapitre « distribution et effectifs des populations ») que de petites populations dans quelques pays (France, Allemagne, République Tchèque, Hongrie, Portugal) sont dues à la présence d’autres populations dans les zones frontalières, et que leur présence semble dépendre fortement de la santé des populations voisines et de leur capacité à produire un flux constants d’individus en dispersion.
Le plan n’accorde même pas à la Suisse de population de loup. Certes ses données ont été recueillies en 2000, et il a été imprimé en 2003, mais en si peu de temps il est exclu que la Suisse ait vu se constituer une population autonome et viable.
S’il est exact que des populations de loup sont en expansion ou en voie de constitution dans plusieurs pays européens, elles sont pour la plupart encore fragiles, non viables, et particulièrement en Suisse où d’après les experts il n’existe même pas de « population ». L’argument tiré de l’évolution du statut biologique de l’espèce depuis trente ans n’est donc pas recevable pour la Suisse.
La Suisse prétend faire de la gestion durable, et cite Boitani (l’auteur principal du plan d’action ) pour lui faire dire que la chasse au loup peut être nécessaire à la gestion durable de l’espèce. C’est vrai, mais uniquement dans les pays où la dite espèce a atteint un état de développement qui permette raisonnablement d’envisager cet expédient, sans parler du contexte culturel.
Sans entrer dans tous les détails du chapitre intitulé « le rétablissement du loup… » par Boitani, nous rappelons qu’il mentionne pour qualifier (avec prudence) une petite population de « viable » : 15 couples reproducteurs, soit plus de cent loups, sur un territoire de 2000 km2 occupé en continu. De toute manière ces effectifs ne suffiraient pas à justifier l’ouverture de la chasse ! Avec entre zéro et dix loups, et probablement aucun couple reproducteur durablement installé compte tenu du braconnage dont l’espèce est systématiquement victime en Suisse, on est évidemment très loin des conditions requises par Boitani et les auteurs du plan d’action que cite mal à propos la Suisse pour réclamer l’ouverture de la chasse au loup chez elle.
La Suisse dit que la gestion actuelle du loup n’est « pas crédible ». Au contraire l’article 9 de la convention de Berne est un instrument de gestion tout à fait approprié, particulièrement dans le cas d’une micro-population où chaque individu compte. D’ailleurs la Suisse ne démontre en rien en quoi l’article 9 n’est pas approprié et ne le tente même pas. Si elle se réfère sans cesse au plan d’action élaboré par Boitani, elle ne peut ignorer d’une part, que toutes les mesures destinées à limiter les conflits entre le loup et l’élevage doivent avoir été mises en oeuvre avant de songer à des actions ultimes comme la destruction d’individus, d’autre part, que la priorité doit être accordée dans son cas à la restauration d’une population viable de loups (ce qui ne semble pas être le cas). Le plan d’action dit par ailleurs explicitement (4.7.3 ) « en ce qui concerne les populations peu nombreuses ou protégées, on ne saurait prévoir la suppression d’un loup simplement parce qu’il se nourrit de bétail ».
Enfin la Suisse développe l’argument selon lequel c’est parce que le loup est strictement protégé que les éleveurs, se sentant impuissants, le détruisent. Elle dit que s’il n’était pas intouchable, les éleveurs seraient davantage disposés à prendre des mesures de protection. C’est une affirmation classique, « autorisez nous à détruire un animal sinon… il sera détruit ! ». D’une part le loup n’est pas « strictement protégé » puisque l’article 9 permet des interventions quand les conditions sont réunies. Elles ne le sont pas en Suisse parce qu’il n’y a presque pas de loups, et l’augmentation de leur nombre pour atteindre la population viable requise par la Convention ne passe sûrement pas par des destructions aujourd’hui. D’autre part on voit mal pourquoi les éleveurs suisses mettraient en oeuvre de coûteuses mesures de protection s’ils avaient la possibilité de chasser les loups qui les dérangent. On voit mal aussi pourquoi les pouvoirs publics dépenseraient de l’argent pour aider ces éleveurs alors qu’ils auraient la possibilité de leur dire « si les loups vous gênent, chassez- les ». Au contraire une protection forte que font respecter les autorités ne laisse pas d’alternatives au monde de l’élevage que la mise en oeuvre de mesures de prévention et de protection qui ont partout fait la preuve de leur efficacité.
Avant de parler de survie « durable », de gestion « durable » ou de toute autre action « durable », la Suisse devrait commencer, dans le respect de la Convention, par faire en sorte que s’établisse dans les meilleurs délais une population de loup viable sur son territoire, ce qui est loin d’être le cas.
Nous demandons par conséquent que la France se prononce clairement CONTRE la demande Suisse et nous serons très attentifs à sa prise de position officielle.