Pris au piège des barbelés, des frontières contre-nature. Par Stéphane Nataf
Article paru dans la Gazette des grands prédateurs n°62 (décembre 2016)
Lorsque la menace de la guerre froide s’est dissipée et que le rideau de fer est tombé au début des années 1990, un monde plus globalisé et sans frontières semblait se dessiner. En plus de permettre la circulation des personnes, des biens et des idées, cette nouvelle situation a permis à la faune, qui ne devrait connaître que les frontières naturelles, de s’affranchir aussi des frontières humaines. Une stratégie de coopération transfrontalière en matière de conservation de la faune commençait à se propager à travers l’Eurasie. L’idée était de profiter de ce nouvel esprit de liberté afin d’élaborer en commun des plans de sauvegarde et de travailler ensemble à la conservation de la faune. Cette période historique était symbolique d’un nouveau monde plus ouvert et a offert de nouvelles opportunités pour restaurer la connectivité de l’habitat à l’échelle continentale. Ce fut aussi une période d’une coopération régionale accrue.
Les attentats du 11 septembre 2001 et ses conséquences militaires, un contexte géopolitique de plus en plus dégradé et multipolaire et les inégalités toujours criantes entre régions du monde ont cependant rapidement exacerbé les tensions. Face à la menace sécuritaire grandissante, aux risques d’intrusion d’armées étrangères ou de terroristes, aux trafics de stupéfiants et aux déplacements de plus en plus massifs de réfugiés fuyant les guerres ou la pauvreté, de nombreux pays ont commencé à ériger des clôtures ou à fortement renforcer celles existantes. Il semble probable que beaucoup de ces clôtures sont là pour rester et que bien d’autres sont susceptibles d’apparaître. Le résultat en est une réduction spectaculaire de la perméabilité des frontières, aussi bien pour les humains que pour la faune qui se voit privée d’habitats saisonniers importants pour sa survie. Les conséquences à long terme sont une plus faible viabilité des populations d’animaux sauvages par appauvrissement des brassages génétiques et un amoindrissement de leur capacité à s’adapter aux changements climatiques déjà en cours.
La question avait bien déjà suscité quelques études de cas spécifiques. Mais, pour la première fois, une équipe de 18 chercheurs basés dans dix différents pays à travers l’Europe, le Caucase et l’Asie centrale ont mis en commun leurs expériences et leurs sources de données fragmentées pour dresser en commun un constat alarmant de la situation. Ces travaux de recherche dirigés par John D.C. Linnel, et compilés en juin 2016 sous le titre Border security fencing and wildlife: the end of the transboundary paradim in Eurasia (Clôtures frontalières de sécurité et vie sauvage : la fin du paradigme transfrontalier en Eurasie) permettent en effet de prendre de la hauteur et de mieux mesurer les multiples conséquences du phénomène. Le premier constat de ces recherches est qu’aujourd’hui entre 25 000 et 30 000 kilomètres de clôtures en tout genre circonscrivent ces pays et que le phénomène ne fait que s’accélérer brutalement par l’édification de nouvelles barrières de plus en plus nombreuses et de plus en plus infranchissables, y compris en Europe. Et c’est sans parler du Moyen-Orient où les clôtures sont encore plus répandues.
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