Les loups, les lynx et Vadim. Par Jean-Claude Génot et Annik Schnitzler
Article paru dans la Gazette des grands prédateurs n°65 (septembre 2017)
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Dans la forêt des partisans
Suivre Vadim Sidorovich, spécialiste du loup en Biélorussie, pendant six jours à la recherche de tanières tient lieu à la fois de l’épreuve sportive et du rite initiatique pour partager les connaissances de ce professeur de zoologie atypique de l’Académie des Sciences. Une épreuve sportive qui demande un minimum de condition physique et de motivation. En effet, il s’agit durant 6 à 8 h par jour, de traverser inlassablement les forêts enchevêtrées d’arbres renversés, d’éviter dans les aulnaies marécageuses la chute dans les eaux noires de vase, et de franchir les canaux abandonnés en marchant soit sur les barrages branlants des castors, soit sur des troncs flottants. Et pas moyen de s’arrêter pour prendre une photographie sous peine de perdre Vadim qui avance d’un pas alerte et régulier sans se retourner. Vadim n’est pas un surhomme, mais sa robustesse lui est très utile pour franchir ces milieux sans encombre. Il parcourt cette forêt depuis sa jeunesse, ce qui a forgé son endurance. C’est grâce à cette épreuve qui consiste à le suivre à travers la forêt et l’écouter échafauder ses théories et hypothèses sur la vie des loups et des lynx que vous réalisez véritablement votre chance : faire partie du petit cercle des initiés qui peuvent l’accompagner dans sa recherche annuelle des tanières et le relevé de ses pièges photo. Pour un scientifique de son envergure, il fallait un terrain d’étude à sa mesure. La forêt de Naliboki avec ses 2 750 km2 lui offre ce cadre. Située à 135 km à l’ouest de Minsk, la capitale de la Biélorussie, cette forêt est protégée sur près de 900 km2 en tant qu’aire de gestion et de protection du paysage (zakaznik en russe) correspondant aux catégories IV et V de l’UICN (la chasse et l’exploitation forestière sont réglementées). Ancienne zone de marais drainée par les Soviétiques avant la seconde guerre mondiale, Naliboki est aujourd’hui redevenue la vaste zone humide qu’elle était avant les drainages faits par les Russes jusque dans les années 1990, grâce au retour en force des castors. Ceux-ci ont édifié de multiples petits barrages et autant de plans d’eau (près de 700) sur les centaines de kilomètres de canaux. En quelques décennies, le niveau moyen des eaux s’est élevé sur toutes les zones basses, faisant dépérir la plupart des aulnaies et bétulaies qui s’y étaient développées après les drainages. Les forêts dunaires sont des pineraies. D’autres forêts sont plantées après coupe rase et travail du sol mais on y voit apparaître le chêne, espèce climacique sur des sols sableux plus riches et moins secs que sur les dunes. Il y a également des forêts d’épicéas à bouleaux, des aulnaies marécageuses et des forêts mélangées (épicéa, érable plane, tilleul, tremble, bouleau, noisetier, cerisier à grappes) inondables au printemps. Malgré une gestion sylvicole intensive par coupe rase avec des engins qui creusent de véritables tranchées dans les chemins, de nombreuses parcelles sont laissées en libre évolution pendant plusieurs décennies après la coupe. L’abandon de toute ingérence humaine, également renforcé par la rareté des chemins ainsi que les multiples zones humides, marécages et tourbières, donne à ce grand massif forestier un caractère sauvage. Les humains y sont aussi peu nombreux car les villages sont dépeuplés (il ne reste parfois qu’un ou deux habitants vivant très isolés au milieu de la forêt). D’autres villages, situés en marge du massif forestier, servent de résidence secondaire aux urbains des villes alentour.
Les digues encore en place sont minées par les castors et très dangereuses à emprunter. Les promeneurs sont rares, la chasse interdite, le braconnage sévèrement réprimé sauf passe-droit local. Naliboki est un paradis pour la faune, très riche en espèces disparues ou très rares en Europe de l’Ouest : élan, cerf, chevreuil, bison, sanglier, loup, lynx, ours, loutre, castor, chien viverrin, aigle pomarin, aigle royal, pygargue à queue blanche, balbuzard, chouette de l’Oural, chouette lapone, cigogne noire, cygne chanteur, grue cendrée, pic à dos blanc, pic tridactyle, gelinotte, tétras lyre, grand tétras, etc. Vadim a d’ailleurs créé une station de recherche au nord de la forêt dans un hameau et propose également des séjours d’écotourisme à des naturalistes venus d’Europe et des Etats-Unis pour découvrir cette faune exceptionnelle. Il ne s’intéresse pas seulement à la faune sauvage mais également à l’histoire mouvementée de cette forêt et à la vie de ses occupants depuis le Moyen Age et au-delà. Il connaît notamment bien la guerre des partisans qui a eu lieu au cours de la deuxième guerre mondiale, responsable par ailleurs de la perte d’un tiers de sa population. La forêt est parsemée de vestiges de ces affrontements (tranchées, restes de campement, trous d’obus) qui ont opposé 10 à 25 000 partisans à l’armée allemande.
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