Cet article est parue dans la Gazette des Grands Prédateurs n° 20 (juin 2006)
De Luchon à Toulouse : une manifestation réussie
Par Gilbert Simon, vice-président de FERUS
Après l’arrivée de Palouma, les opposants à l’ours ont multiplié les démonstrations hostiles, les déclarations menaçantes, et tenté d’imposer, avec le soutien inattendu de quelques bobos parisiens, la suspension du programme de renforcement. Nous avons alors décidé au sein de Cap Ours et notamment le petit noyau d’organisateurs constitué de Ferus, du WWF et de Pays de l’Ours -ADET, d’organiser un grand rassemblement festif à Luchon en faveur de l’ours.
La préparation de la journée du 3 juin se déroulait dans une bonne ambiance avec un appui sans faille de la mairie de Luchon quand nous avons constaté que les ennemis de l’ours commençaient à faire monter la pression pour tenter de nous mettre en échec. Ils ont d’abord multiplié les communiqués de presse mettant en garde contre les incidents qui ne manqueraient pas d’avoir lieu à Luchon du fait de la « colère incontrôlable » des éleveurs, puis ont chargé des journalistes complices de publier des adresses aux amis de l’ours leur conseillant de ne pas venir. Jusqu’au premier juin ces menaces n’ont pas dissuadé les organisateurs de préparer la manifestation du 3 dans ses moindres détails. Mais des témoignages concordants recueillis sur des opérations de « chasse à l’écolo » qui se préparaient ont semé un premier trouble dans nos rangs. L’arrivée du mâle Balou à Arbas dans la nuit du 1er juin a décuplé la tension et a convaincu certains organisateurs qu’il fallait abandonner l’idée d’envoyer les amis de l’ours dans Luchon. Nous avons tenu des conférences téléphoniques non stop pendant des heures les deux derniers jours et avons convenu in extremis d’un déplacement de la manifestation à Toulouse .
Cette décision n’a pas été facile à prendre, Ferus a été le dernier à s’y rallier. Personne n’accepte de gaieté de coeur dans un pays démocratique de se voir interdire l’exercice de ses droits les plus élémentaires par des éléments violents et irresponsables.
Avec le recul, je me dis que finalement nous n’avons peut être pas fait une mauvaise affaire dans le contexte qui prévalait à cette date. Nous ne serions jamais arrivés au centre de Luchon, nous aurions été arrêtés par un barrage sur la route d’accès, à 20km . J’avais eu très longuement le préfet de région au téléphone. Il ne pouvait pas empêcher les anti-ours de bloquer la ville (quand on connaît la géographie locale, on en est vite convaincu) et aurait concentré ses moyens sur le point de contact entre manifestants pour limiter les violences potentielles. Rien ne dit par ailleurs que les anti-ours n’auraient pas mis à profit leur occupation des lieux pour s’en prendre aux personnes et aux biens dans Luchon même. Les télévisions auraient montré des images classiques de face à face en rase campagne, et il est probable que les médias ne se seraient attachés qu’aux gestes provocateurs des ennemis de l’ours, leur auraient donné la parole autant qu’à nous et auraient laissé une impression globale de « guerre de l’ours ».
Nous sommes tout de même allés dans trois voitures le matin du 3 juin à Luchon où nous avons été accueillis par le maire. Nous lui avons dit notre profonde déception de n’avoir pu défiler dans sa ville. Il avait fait adopter la veille une délibération par son conseil municipal qui restait disposé, au moment du report sur Toulouse, à accueillir notre manifestation dans un esprit de tolérance et d’équité.
Cela a donc été Toulouse, par un beau soleil, à l’issue, pour certains , d’un long mais joyeux voyage en car. Un grand coup de chapeau à tous ceux qui ont donné leur temps et leur argent malgré les conditions acrobatiques du changement de lieu. La mobilisation de nombreuses associations et d’autres structures dépassait les seules organisations qui se battent pour la conservation de l’ours. Beaucoup voulaient attester par leur présence de la portée symbolique de ce combat pour la nature et la biodiversité, contre l’intolérance, la violence et la bêtise.
Le spectacle place St Etienne devant la préfecture était coloré et les médias très présents.
Une délégation composée des maires Arcangeli d’Arbas, Rettig de Luchon et Castells de Bagnères de Bigorre (le maire de Burgalays était excusé) et des responsables associatifs B. Chambon (FNE), B. Cressens (WWF), A. Bougrain-Dubourg (LPO), A.Lagrissy (ACP), G.Simon (Ferus) a rencontré le préfet de région Jean Daubigny.
Nous avons dit notre profond regret de n’avoir pu nous rendre à Luchon. Les anti-ours avaient pu s’exprimer sans entrave, parfois avec violence. Nous aurions aimé pouvoir le faire pacifiquement. Nous aurions apprécié que l’Etat puisse garantir notre sécurité.
Les associatifs ont souligné le courage des maires qui avaient résisté aux pressions et avaient accueilli des ours. L’indépendance d’esprit des 9 conseillers généraux des Hautes Pyrénées qui avaient approuvé le programme de renforcement de la population d’ours a été relevée, alors que des arguments outranciers notamment sur la sécurité avaient convaincu la majorité de voter contre ce plan. Parmi les opposants à l’ours on trouvait même le président du parc national des Pyrénées dont on se demande pourquoi il ne démissionne pas.
Enfin nous avons remercié la ministre de l’Ecologie pour sa constance et son refus de céder aux pressions.
Nous avons affirmé que la montagne n’était pas la propriété des seuls habitants même s’ ils étaient les premiers concernés, et nous avons réclamé le droit pour chacun de pouvoir donner son opinion sur tout ce qui se passait en France (et même dans le monde !). De plus si les anti-ours laissaient les Pyrénéens s’exprimer librement on aurait la confirmation des enquêtes d’opinion qui montrent régulièrement que ceux qui approuvent la présence de l’ours et les programmes de protection sont majoritaires.
Nous avons souligné que le combat pour l’ours était frère et pilote de tous les combats pour la biodiversité. Nous avons dénoncé la tentative des opposants à l’ours de créer un abcès de fixation, un espace de non droit et exigé du préfet qu’il ne laisse pas reproduire dans les Pyrénées ce qui s’était passé ailleurs, dans le Médoc, à l’Escrinet, au Platier d’Oye, en Brière, c’est à dire un laxisme initial et une mollesse des autorités qui encourageait les plus teigneux à se mettre durablement hors la loi.
Nous avons aussi souligné que des éleveurs parmi nous et dans bien des vallées pensaient qu’il n’était pas impossible de cohabiter avec l’ours, seulement on ne les laissait pas toujours s’exprimer car le pire que redoutaient ceux qui prenaient l’ours comme bouc émissaire était ces bons exemples où les attaques étaient tellement réduites qu’elles devenaient très supportables.
Nous avons enfin dit que ce qui comptait plus que tout était le succès des quatre (et nous l’espérions bientôt cinq) lâchers d’ours. Nous avons demandé bien sûr que la sécurité de ces ours soit durablement assurée notamment lors de la saison de chasse. Nous nous sommes engagés de notre côté à être vigilants et à reprendre les campagnes d’ explication et d’ information en direction des populations concernées.
En réponse le préfet, auquel nous avions remis en séance 127000 signatures en faveur du renforcement, nous a dit que l’Etat n’aurait pas immédiatement employé la force pour faire sauter des barrages de tracteurs sur les deux ou trois routes qui mènent à Luchon. Que l’emploi de la force qui se serait peut être avéré nécessaire si le face à face avait dégénéré n’aurait pas rendu service à notre cause. Que cela ne signifiait nullement qu’il laisserait la violence s’imposer et gouverner les Pyrénées, et que notamment les fauteurs de troubles et les agresseurs seraient déférés à la justice. Il a insisté sur le fait qu’il faudrait tenir dans la durée, que les menaces sur les biens, les personnes et les ours venant des plus excités allaient lui imposer à lui et à ses troupes (notamment gendarmerie et ONCFS auxquels il a rendu un vibrant hommage) un long effort y compris pendant les vacances et les jours fériés. Il s’est déclaré très attentif à la sécurité des ours. Il a noté avec grand intérêt les remarques de l’ACP. Il nous assuré que lui même et ses services dont la DIREN – qu’il a félicitée pour le succès des lâchers – resteraient en contact avec nous. Comme nous avions critiqué la discrétion du ministère de l’Agriculture dans tout ce processus d’accompagnement du retour de l’ours, il nous a dit que discrétion ne voulait pas dire inactivité…
Puis ce fut pendant deux heures un défilé jusqu’à la place du Capitole avec force slogans et chansons, conclu par de brèves allocutions des organisateurs et par le lâcher symbolique du cinquième ours sous la forme d’un ballon.
Ceux qui à Ferus se sont investis dans l’organisation jugent que le bilan de cette journée est très positif.
Les images, les sons et les écrits des médias ont été très favorables à notre cause.
Les remarques sur notre nombre (un peu plus d’un millier sans doute) ont d’autant moins d’importance que chacun s’accorde pour dire qu’en changeant de lieu et de symbole au pied levé moins de 24h avant l’événement nous avons perdu automatiquement des troupes. Sans compter qu’entre la décision de manifester et le jour « j » trois autres ours avaient heureusement rejoint Palouma et qu’il est rarissime en France de voir des gens se mobiliser « pour » ! Mais les chiffres avancés comptent moins que les images et les arguments longuement diffusés, ce 3 juin on a pu entendre les pro-ours et les voir sous un jour sympa. Tant mieux si des personnages célèbres dont deux anciens ministres ont pu s’exprimer, parfois plus que ceux qui avaient organisé la journée. Cela a crédibilisé notre action et a confirmé que la protection de l’ours était une affaire sérieuse.
Je ne sais pas ce que nous avons perdu en renonçant, provisoirement je l’espère, à nous rendre à Luchon mais je sais ce que nous avons obtenu et ce n’était pas mal du tout.