Le retour du loup en Meuse
Octobre 2014, note de positionnement Mirabel Lorraine Nature Environnement / Meuse Nature Environnement / LOANA (Lorraine Association Nature) / GEML (Groupe d’Étude des Mammifères de Lorraine) / Vosges Nature Environnement / FERUS / FNE.
Élevage en plaine ou loup : pourquoi choisir ?
La présence du loup en Meuse, un sujet complexe et sensible
Le loup est revenu naturellement dans notre pays il y a plus de 20 ans, à partir d’une population située en Italie. Depuis la première observation de l’espèce en France en 1992, l’aire de répartition du loup s’est développée essentiellement depuis l’arc alpin du sud vers le nord. Le processus de retour du loup recense de nombreux cas d’individus traversant de vastes espaces inoccupés par l’espèce pour se fixer dans de nouvelles régions.
La présence du loup fut avérée dans le Massif vosgien à partir de 2011 avant que l’on ne soupçonne son arrivée dans le centre du département de la Meuse à l’automne 2013.
Sa présence en Meuse et les premiers cas d’attaque de troupeaux ovins dans les plaines ont engendré des réactions vives de la part de la profession agricole. Il est vrai, qu’au delà du côté sensationnel, sa présence réveille en nous des peurs ancestrales alimentées depuis toujours par la littérature et, en ce moment, par les images d’animaux ensanglantés et éventrés. Pour autant le loup n’est pas dangereux pour l’homme.
Dans ce contexte, une réaction « à chaud » de nos associations suite à la diffusion de plusieurs communiqués de presse, articles et reportages n’a pas été jugée opportune afin de ne pas entrer dans un débat stérile. Le loup est un animal complexe et sa présence en Meuse, dans une zone de plaine qui plus est, est une première nationale qui demande une certaine réflexion.
Le loup : une espèce protégée
Le loup est protégé au niveau international par la Convention de Berne du 19 septembre 1979 (ratifiée par la France le 26 avril 1990), au niveau communautaire par la Directive « Habitats » du 21 mai 1992, et au niveau national par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 (désormais par l’arrêté ministériel du 23 avril 2007). A titre dérogatoire, les deux arrêtés ministériels du 30 juin 2014 définissent un cadre bien précis pour autoriser les tirs de prélèvement (abattage) du loup si aucun autre moyen de protection n’est efficace. Dans ce sens, nos associations n’hésiteront pas un instant à aller au contentieux si le loup devait être abattu illégalement comme en atteste notre récent recours contre l’arrêté préfectoral du 28 août 2014 autorisant les tirs de prélèvements sur 9 communes meusiennes (1).
Les éleveurs en première ligne
L’élevage en Meuse est une activité agricole incontournable et source d’emplois. L’activité ovine contribue pleinement à la diversité des activités agricoles et à la diversité de nos paysages. Ces pratiques permettent la préservation d’espèces et d’habitats et contribuent au maintien d’une biodiversité spécifique dans les prairies pâturées et non retournées.
Nos associations comprennent pleinement le désarroi et le traumatisme des éleveurs face à la présence du loup dans le département qui apparaît comme une difficulté supplémentaire immédiate en plus de celles auxquelles ils sont déjà confrontés.
Si la préservation des conditions de travail et de vie des éleveurs est un objectif incontournable, la protection du loup comme celles d’autres espèces est également un impératif d’intérêt général inscrit dans les règles de droit national, communautaire et international. On ne peut pas sacrifier l’un à l’autre.
Le loup, un bouc-émissaire ?
Les difficultés de la filière ovine ne peuvent justifier que le « dossier loup » soit principalement conduit sous la pression de lobbies agricoles ou politiques. Le loup ne doit pas être instrumentalisé et être tenu pour responsable de la situation préoccupante de l’élevage ovin en Meuse. Ne cédons pas au raccourci qui consiste à dire : « c’est soit l’élevage, soit le loup ! ».
On compte en Meuse près de 22 245 brebis (2). Fin septembre 2014, on dénombre 47 attaques du loup dans le département depuis octobre 2013 tuant près de 100 ovins… Le total des pertes attribuées au loup depuis près d’un an est donc de 0,45 % du cheptel meusien. Il est vrai que les attaques sont spectaculaires et concentrées sur une zone restreinte mais ce chiffre est à comparer à la mortalité hors loup du cheptel ovin qui est infiniment supérieure : maladies, parasitismes, chiens errants… Selon les études, les chiens errants ou divagants seraient responsables de prédations annuelles pouvant atteindre jusqu’à 5 % des effectifs présents en France ! (3)
Eradiquer le loup en Meuse : une réponse inadaptée
D’une manière générale, nos associations dénoncent la politique des pouvoirs publics dont la stratégie en réponse à la présence du loup vise la destruction des individus plutôt que la protection des troupeaux. Elles rappellent que la possibilité de destruction d’individus au niveau national est une dérogation à la protection de l’espèce et qu’il est inconcevable d’abattre le loup, surtout en zone de reconquête de territoire !
Un seul loup a été recensée officiellement en Centre Meuse. Abattre ce loup apparaîtrait comme un repli dans la facilité et un aveu d’impuissance de notre pays à s’adapter aux situations nouvelles, alors même que des solutions alternatives existent. Sommes-nous vraiment incapables de nous adapter à la réapparition naturelle d’un animal qui avait disparu de notre territoire de par nos activités ?
Par ailleurs, un loup abattu laissera derrière lui un espace disponible et adapté à la vie d’un autre loup en recherche de territoire laissé vacant.
Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités
L’Etat n’a pas su anticiper le retour du loup en plaine annoncé depuis des années. Il incombe maintenant aux pouvoirs publics et aux différentes parties prenantes de faire concilier sur un même territoire les intérêts économiques et les objectifs environnementaux, le court terme et le long terme. On ne peut pas proclamer que toute cohabitation entre le loup et l’élevage ovin en Meuse est impossible avant d’avoir tout fait pour que cela devienne possible. Pastoralisme et écosystèmes naturels équilibrés ne sont pas incompatibles : nos associations ne veulent pas d’une Meuse sans éleveurs ni brebis. Elles ne veulent pas non plus la destruction du loup !
Des mesures d’effarouchement et de défense contre le loup existent et n’ont pas encore été mises en place efficacement dans les plaines meusiennes : regroupement des troupeaux, clôtures électriques adéquates, aides-bergers, chiens de protection, etc. Dans le Centre Meusien, un des foyers d’attaque du loup, quelques moyens de protection ont été mis en place autour des troupeaux (filets de protection) mais ils restent nettement insuffisants (voire absents) : grillages à moutons, fils non électrifiés, aucune présence de chien ou d’âne, clôtures avec de simples barbelés…
L’Etat doit prendre en charge sans délai les dépenses liées à la protection des troupeaux. Les crédits d’urgence débloqués en Meuse (60 000 euros au total pour le moment) ont le mérite d’exister mais apparaissent bien insuffisants pour soutenir efficacement les éleveurs impactés par le loup. Il en est de même pour les indemnités versées aux éleveurs suite aux attaques du loup qui ne couvrent pas totalement les pertes indirectes liées au traumatisme du troupeau.
Nos associations demandent donc la poursuite et l’accentuation du soutien à la mise en oeuvre des mesures de protection, mais aussi de nouvelles expérimentations pour une coexistence entre l’élevage de plaine et la présence du loup, l’élevage ovin en Meuse ayant la particularité de se composer de petits troupeaux sur des petites parcelles, contrairement à ce qui se fait dans les Alpes (« gros » troupeaux sur de grandes étendues). Des mesures inadaptées dans les montagnes peuvent ici s’avérer efficaces, et d’autres sont à inventer et à expérimenter.
L’exemple des Vosges : un loup en apprentissage
Le loup est un animal opportuniste. Lorsqu’il arrive dans un nouveau territoire (généralement il s’agit d’un jeune loup détaché d’une meute) les ovins apparaissent immédiatement comme des proies faciles d’accès car non protégées. La mise en place efficace des moyens de protection et de défense des troupeaux incitera le loup à se tourner de plus en plus vers la faune sauvage pour se nourrir toute l’année.
En ce sens, l’exemple des Vosges est parlant.
=> Au niveau de la plaine :
Présent dans le massif vosgien depuis 2011, les premières attaques du loup en plaine ont démarré en 2012 où l’on a dénombré durant l’année 55 attaques pour 127 victimes. En 2013, on comptabilisait 40 attaques pour 72 victimes soit une diminution des attaques en plaine en une année de plus de 27 % pour 43 % de victimes en moins ! Cette diminution des attaques sur troupeaux en plaine se poursuit sur les 6 premiers mois de 2014 avec 11 attaques recensées contre 25 attaques attribuées au loup en 2013 sur la même période…
=> Au niveau du massif :
Les attaques sur troupeaux et les victimes attribuées au loup dans le massif vosgien ont diminué respectivement de 66,7 % et de 76,3 % en l’espace de 2 ans ! 45 attaques (110 victimes) ont été recensées dans le massif en 2011 contre 15 attaques (26 victimes) en 2013. Cette tendance à la baisse se poursuit en 2014 (4) alors même que la population de loup présente dans le massif Vosgien est passée de 1 à, au moins, 4 individus sur ces trois dernières années ! Cela prouve que le nombre d’attaques sur les troupeaux n’est pas proportionnel au nombre de loup, et que les mesures de protection s’avèrent efficaces, même si elles n’empêchent pas toute attaque.
Si cela fonctionne dans les Vosges avec les contraintes liées au relief et au climat, alors pourquoi pas en Meuse ?
Le loup, un grand prédateur qui a un rôle à jouer
Le loup, prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, contribue à restaurer la qualité des écosystèmes en limitant les populations d’ongulés. Il est le signe d’une remontée biologique encourageante pour tous ceux qui ne se résignent pas à voir leur environnement s’appauvrir, s’enlaidir et se banaliser. Un pays où une nouvelle espèce sauvage peut vivre est un pays plus riche pour les humains qui l’habitent, car la vie n’est pas que gestion, aménagement et régulation.
Le loup instaure un équilibre entre les populations de ses proies et leur milieu. En régulant les ongulés sauvages (cerfs, chevreuils, sangliers dans une moindre mesure…), il limite la dégradation de la flore et des arbres et limite les risques d’épuisement des ressources, ce qui est positif pour la bonne santé de nos forêts (5).
Grand prédateur, le loup est un régulateur indispensable en Meuse où la multiplication des effectifs d’ongulés sauvages depuis 20 ans (6) pose d’importants problèmes aux forestiers et agriculteurs !
Place au dialogue
Face à la présence du loup en Meuse, il est important qu’un échange ouvert et constructif puisse se tenir entre les éleveurs directement concernés, les représentants du monde agricole, les représentants de la forêt et de la faune sauvage, les associations de protection de la nature et de l’environnement et les instances publiques. En ce sens, le Comité départemental « Loup » doit rester un espace réel de concertation, de suivi et de mise en relation. Par ailleurs, nos associations souhaitent ouvrir le dialogue. Nous avons ainsi commencé à rencontrer les éleveurs ovins afin d’échanger sur les difficultés à l’installation des moyens et mesures de protection efficaces des troupeaux et sur le rôle que nous pourrions jouer pour faciliter leur mise en oeuvre dans un objectif de cohabitation avec le loup.
(1) Recours porté par MIRABEL-LNE / FNE / LPO / ASPAS / FERUS / ONE VOICE
(2) Source : Etude de Vulnérabilité à la prédation par le loup – Chambre d’Agriculture Meuse
(3) http://www.loup.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?rubrique30
(4) Source : comité de suivi des grands carnivores loup-lynx – réunion du 3 juillet 2014 – Epinal
(5) Source : Bienvenue au loup et au lynx – La Société forestière suisse (SFS) salue la présence du lynx et du loup en Suisse – juillet 2012
(6) cf. évolution des plans de chasse en Meuse : Cerf : environ 200 individus en 2000 => env. 400 en 2011 / Chevreuil : env. 2500 individus en 2000 => env. 11 000 en 2011 / Sanglier : env. 1000 individus en 1980 => env. 11 000 en 2011