Le 8 avril 2005
Monsieur le Ministre,
En cette période de concertation sur les modalités de mise en oeuvre du renforcement de la population d’ours dans les Pyrénées, nous déplorons la tournure que prennent les débats dans les Pyrénées-Atlantiques. Mais nous ne nous étonnons pas, ils sont le fruit du travail mené par l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn.
Le 17 novembre dernier, nous avons déjà dénoncé l’échec de cette institution, prévisible depuis longtemps. Au cours des dix dernières années, cette institution, présidée par le député Jean LASSALLE, a profité du manque de rigueur, pour ne pas dire du laxisme de l’Etat sur ce dossier. L’IPHB a reçu pour son fonctionnement un apport financier très important du ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, prélevé sur le budget des espèces protégées. Beaucoup ont critiqué ce pari qui obérait des crédits déjà scandaleusement faibles mais ont attendu de pouvoir juger les résultats. Si le fameux contrat d’honneur et de confiance, si mal nommé, restait flou sur le devenir de la population d’ours, les conventions passées régulièrement entre vos services et l’IPHB impliquaient des actions vigoureuses en sa faveur.
Pourtant au cours de cette période, le nombre d’ours en Béarn n’a cessé de chuter dramatiquement et, aujourd’hui, les Pyrénées-Atlantiques ne comptent AUCUNE femelle, seulement deux ours mâles, un ourson mâle de dix mois privé de sa mère et un ours mâle issu des réintroductions qui ont eu lieu dans les Pyrénées centrales en 1996 et 1997. La démonstration de la supériorité des méthodes inspirées par les chantres de la « gestion patrimoniale » n’a pas été faite, c’est le moins qu’on puisse dire, d’autant plus que dans le même temps les ours passaient de zéro à 15 dans les Pyrénées Centrales.
Nous vous invitons vivement, Monsieur le Ministre, à lire l’article de Farid BENHAMMOU La gestion de l’ours et de Natura 2000 en Béarn : A qui perd gagne ! paru dans la revue de FERUS La gazette des grands prédateurs dont nous vous joignons un exemplaire. Si ses propos lui appartiennent, ils reflètent l’opinion de la totalité de notre association comme l’a confirmé notre assemblée générale qui s’est tenue dans les Pyrénées le 19 mars.
Ces derniers jours, la stratégie du président de l’IPHB fondée sur l’instrumentalisation de l’ours et sur l’exacerbation permanente des rapports de forces a repris de plus belle et est à l’origine de la caricature de débat qui prévaut dans le Béarn.
FERUS se réjouit du désengagement de l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn dans le dossier pour le renforcement de la population d’ours. Aujourd’hui, vous devez chercher de nouveaux interlocuteurs. D’autres espaces pour d’éventuelles futures réintroductions devront être recherchés dans les Pyrénées-occidentales, de la Haute Soule à la Bigorre.
77% des habitants des Pyrénées-Atlantiques sont POUR la réintroduction de l’ours (*). L’ours a un avenir dans les Pyrénées-Atlantiques, il est simplement nécessaire de privilégier les échanges d’arguments rationnels puis l’action aux discours populistes.
La restauration de la population d’ours concerne l’ensemble de la chaîne des Pyrénées tant sur le versant français que sur le versant espagnol, il ne manque pas de communes dont les élus se sont clairement prononcés pour qu’elles soient le siège des réintroductions que vous avez annoncées. Ne cantonnez pas le dossier dans les vallées d’Aspe et d’Ossau : un jour ceux de leurs habitants qui veulent sauvegarder leur patrimoine et participer à la grande aventure du retour de l’ours feront prévaloir leur point de vue. Mais en 2005 il semble préférable de consacrer les moyens de vos services à d’autres zones de réintroductions potentielles tout en ne relâchant la vigilance ni sur la conservation des habitats, ni sur la protection des derniers ours.
Et surtout, scandalisés par les détournements de crédits opérés de facto depuis des années au détriment de la nature par l’Institution Patrimoniale du Haut-Béarn, nous réitérons notre demande de stopper toute aide directe ou indirecte à ce syndicat ; il en va de la crédibilité de la France aux yeux de la communauté internationale. En espérant pouvoir compter sur une position ferme et clairvoyante de votre part, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre parfaite considération.
Jean-François Darmstaedter, président de FERUS
(*)Sondage commandé par le GROUPE PYRENEES PRESSE de PAU à l’Institut ARSH Opinion les 7 et 8 décembre 2004 selon méthode des quotas auprès de 400 personnes de 18 ans et plus, représentatives de la population de l’ensemble du département des Pyrénées Atlantiques.
Ci-dessous, extrait d’un article publié dans le numéro 15 de la Gazette des Grands Prédateurs par Farid Benhammou. Cet article reflète la position de FERUS.
La gestion de l’ours par l’IPHB :à qui perd gagne !
En juin 1993, Michel Barnier, ministre de l’environnement, était venu dans les Vallées Béarnaises rencontrer les acteurs locaux (les associations de protection de la nature n’avaient pas été conviées à cette négociation). Il leur avait proposé d’abroger le « plan ours » des gouvernements précédents, comprenant en particulier les réserves ministérielles de chasse dites « Lalonde. Ces zones de sites vitaux notamment pour les femelles d’où était bannie la chasse en battue avec chiens courants couvraient environ 6 500 ha. Michel Barnier et Jean Lassalle signaient en échange un « contrat d’honneur et de confiance ». Le ministre reprenait ainsi à son compte le fameux slogan : le contrat plutôt que la contrainte. De facto, il abandonnait aux élus béarnais le pilotage effectif de la protection de l’ours. En même temps il était le premier à oser entreprendre ailleurs, en Haute Garonne, une réintroduction d’ours slovènes mais ceci est une autre histoire.
A cette époque, le Réseau Ours Brun animé par l’Office National de la Chasse recensait en Béarn un minimum de sept ours, dont au moins trois femelles (Lagaffe ou Pestoune qui fut l’ourse à problème de 1992, disparue mystérieusement des comptages à l’automne 1993, Claude, abattue fin 1994 lors d’une battue sur le territoire d’une ancienne réserve « Lalonde » abrogée, et Cannelle).
Depuis, il y a eu au moins quatre naissances avérées (portées observées de Cannelle) : en 1995, en 1998, en 2000 et en 2004.
Aujourd’hui, onze ans après, il ne reste qu’un mâle autochtone dans les Vallées Béarnaises, un autre dans les communes frontalières espagnoles (il est passé en Espagne après le tir de Claude), un mâle d’origine slovène, issu de la réintroduction en Pyrénées Centrales, Néré, dont les élus locaux refusent la présence avec insistance, et le petit ourson mâle de double origine (issu de Cannelle et Néré).
Pendant cette période, les trois femelles ont été abattues par des chasseurs dans le Béarn : Claude, Cannelle et probablement Lagaffe . Le cadavre de l’emblématique Papillon, mort de vieillesse en juillet 2004 en Hautes-Pyrénées, portait les plombs d’au moins trois cartouches différentes.
Pour ce joli résultat, plus de trois millions d’euros ont été dépensés par le ministère de l’Environnement (au grand dam d’autres priorités), dont moins du dixième pour des actions en faveur de l’ours et de son habitat. L’essentiel a servi à rémunérer du personnel administratif travaillant sous les ordres de Jean Lassalle, alors que ces fonds sont comptabilisés dans le budget de l’Etat comme crédits pour la protection de la nature, et que les parlementaires auxquels le gouvernement rend compte pensent qu’ils vont à la faune et à la flore en danger. Et l’on ne compte pas le temps inimaginable passé par les pouvoirs publics à faire fonctionner le dispositif institutionnel mis en place à cet effet.
L’Institution Patrimoniale du Haut Béarn (IPHB), qui est un syndicat de communes où ne votent que des élus, est inspirée de la démarche intellectuelle très ambiguë d’Henri Ollagnon. Ce professeur à l’Institut National Agronomique de Paris-Grignon prétend que du moment que tous les acteurs concernés par un sujet conflictuel acceptent de se mettre autour d’une même table pour négocier, tout et son contraire deviennent possibles.
Les événements qui se sont produits tendent plutôt à montrer que les groupes les mieux organisés, soutiens traditionnels des détenteurs du pouvoir local, majoritaires institutionnellement, ont circonvenu les minorités pour les empêcher de faire valoir leur point de vue. Ainsi, la confiance accordée sans gardes-fous a permis en toute impunité à l’irréparable de se produire au vu et au su de tous.
Cannelle a été abattue dans un espace proposé par la France au titre de Natura 2000 et déclaré Site d’Importance Communautaire en application de la Directive Habitat Faune Flore de l’Union Européenne.
Ce bilan sans appel résulte à l’évidence d’une incapacité des pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités, de tergiversations et d’absence de décision concernant les engagements des deux partenaires (Etat et IPHB) en la matière depuis plus de dix ans. En fait, les responsables de l’IPHB qui n’ont que les mots de « contrats » et de « confiance » à la bouche n’ont pas été capables de respecter leur part du contrat concernant l’ours. Personne ne leur en a tenu rigueur au regard des fonds publics dépensés. . Il se trouve que les élus de ce secteur, le député Jean Lassalle en tête (cf. ses discours récurrents à l’Assemblée et le grand-cas qu’il fait des associations de protection de la nature et des sommes « faramineuses » qui leur seraient injustement attribuées), refusent le principe même de la Directive Habitat et financent recours sur recours pour tenter d’en obtenir l’abrogation en invoquant notamment la meilleure efficacité supposée de certains acteurs locaux à protéger eux-même la nature chez eux.
Comment l’Etat a-t-il pu accepter de se complaire dans un tel degré de schizophrénie ?
Paradoxalement, pour se décider au renforcement, l’administration a considéré qu’elle ne pouvait s’appuyer que sur Jean Lassalle et s’aligner sur ses propositions, alors qu’il était largement co-responsable de la situation présente. Et elle s’apprêtait à lui renouveler sa confiance et à augmenter les financements attribués à son Institution Patrimoniale.
Jean Lassalle de son côté a du un temps considérer que la mort de Cannelle lui permettrait de vaincre un grand nombre de réticences locales au principe du renforcement.
Mais ces derniers mois, Jean Lassalle a pris un nouveau faux prétexte, l’annonce par le ministre d’un programme de restauration de la population d’ours sur l’ensemble de la chaîne, pour annuler bien vite sa timide annonce d’un lâcher sous conditions de deux femelles. Serge Lepeltier avait pourtant bien pris la précaution de ne pas dire pour le Béarn autre chose que ce que l’IPHB disait déjà. Ce syndicat se serait d’ailleurs vu confier la maîtrise d’ouvrage du projet par délégation dans les deux vallées.
Mais pour Jean Lassalle c’était encore trop. Inacceptable que des scientifiques veuillent dire leur mot sur ses manipulations d’animaux, inacceptable que l’on ose parler d’une population viable d’ours dans les Pyrénées alors qu’il venait généreusement d’octroyer deux femelles, inacceptable qu’une autre autorité que la sienne puisse agir, et songer à exercer sur lui une tutelle. Faute d’argument rationnel il a, en bon communiquant, qualifié de lâcher « massif » d’ours un projet consistant à en réintroduire progressivement une petite dizaine sur un espace immense.
Ce petit jeu si bien rodé va-t-il reprendre ? L’Etat va-t-il encore massivement financer l’IPHB alors que ses responsables utilisent activement cet argent public pour lutter contre la Directive Habitat et pour dénigrer sans cesse l’opération de réintroduction d’ours en Pyrénées centrales . ? Faut-il encore parler de réintroduire des ours en Béarn ? Ne vaut il pas mieux y protéger fermement l’habitat et attendre des jours meilleurs pour parler de réintroductions, quand des élus locaux seront réellement prêts au dialogue, sur la base du respect mutuel de tous les partenaires ?
Pendant ce temps, les ours sont passé de zéro à un quinzaine dans les Pyrénées centrales. Sans grands mots, mais au prix d’une somme de travail considérable, sans grands moyens, mais en utilisant au mieux chaque euro, les élus et les organisations socioprofessionnelles qui constituent Pays-de-l’ours ADET ont réussi à consolider un climat d’ensemble favorable à l’ours. Des chasseurs aux naturalistes en passant par des éleveurs, de nombreuses associations locales sont partenaires du projet. La gestion n’a pas le label « patrimonial » que s’est auto décerné l’IPHB mais elle a pour conséquence une reconquête du patrimoine naturel et la mise en valeur du patrimoine culturel. On évoque sans cesse l’emploi optimum des deniers publics : économisons la totalité des crédits qui sont donnés à l’IPHB, redéployons une partie sur les Pyrénées centrales, l’ours, le budget de la nature et la morale s’en porteront mieux.
Farid Benhammou ENGREF,Géographe à Paris 1