Parc NATUREL régional ou Parc AGRICOLE régional ?
Des parcs régionaux à côté des enjeux de leur époque
Sous prétexte de « concertation », la protection de la Nature passe sous les fourches caudines du conservatisme agricole ambiant. C’est ce dernier, puissant dans les structures des Parcs régionaux, qui s’impose en une sorte de loi du plus fort où la protection de la nature n’a qu’a bien se tenir, à savoir, marcher au pas. C’est un processus classique bien étudié par l’équipe de Laurent MERMET de l’ENGREF au sujet de l’IPHB en Haut-Béarn en ce qui concerne l’ours des Pyrénées. (Document consultable sur le site internet de « La buvette des alpages » : L’Institution Patrimoniale du Haut Béarn – Gestion intégrée de l’environnement, ou réaction anti-environnementale ? Comment, sous couvert de réforme et d’innovation affichée, contrôler les partisans d’une gestion plus écologique de l’ours et préserver le statu quo et les intérêts économiques en jeu – Laurent MERMET – ENGREF -2002).
C’est aussi un processus qui revêt bien souvent des atours progressistes comme par exemple ceux de la Confédération Paysanne qui se montre pourtant depuis toujours farouchement opposée à la présence de l’ours et du loup dans notre pays. Surtout à quelques mois d’élections syndicales aux chambres d’agriculture et avec des sondages montrant que ce syndicat, que certains pensaient plus ouvert, est en recul. D’où la surenchère estivale d’un José Bové contre le loup… c’est si facile.
Ainsi, dès lors qu’il devient nécessaire de devenir audacieux, inventif, médiateur, créatif, généreux, réactif, en un mot, « intelligent », certains parcs régionaux préfèrent botter en touche et laisser tomber leur mission – affichée – de protection de la nature.
C’est le cas depuis sa création du Parc Naturel Régional de l’Ariège qui est entièrement investi par les forces agricoles locales les plus conservatrices et par des politiciens locaux très à l’aise dans le jeu de clientèle électorale que cela peut créer. On y pratique ce qui s’apparente à un réel négationnisme vis-à-vis de l’ours des Pyrénées, faisant comme si ce dernier n’existait pas (visitez le site internet de ce parc, je vous défie d’y trouver la moindre allusion à l’ours !). Notre pays a pourtant obligation légale nationale et européenne de maintenir cette population en bon état de conservation. Aucun document officiel de ce récent Parc Naturel Régional ne fait allusion à la moindre action pour favoriser cette espèce extrêmement menacée dans notre pays alors même que l’Ariège compte la population la plus importante de cet animal emblématique d’une nature préservée. C’est une véritable « biodiversité de concurrence » (cf travaux du géographe Farid Benhamou) qui est pratiquée, ce qui est contraire à toute définition de la biodiversité.
Il est bien dommage que des Parcs Régionaux puissent devenir les fers de lance de cette erreur monumentale sans que le CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) ne puisse les rappeler à l’ordre : la création du Parc Naturel Régional d’Ariège a été validée par le ministère de l’écologie malgré l’absence du moindre programme destiné à seulement s’intéresser à l’ours brun, fleuron du patrimoine naturel de ce territoire !
En choisissant d’ignorer l’ours, ce Parc Régional se coupe de tout ce que ce dernier peut apporter au pastoralisme pour que ce dernier puisse évoluer face aux menaces réelles et structurelles auxquelles il doit faire face et qui sont autrement plus terribles que la présence de l’ours : concurrence internationale redoutable sur la viande ovine en l’absence de label ou de marque liée au caractère naturel du terroir, absence de valorisation locale des productions agricoles que seules les subventions « valorisent », fragilité voire absence de filière bio et de qualité sachant se passer des aliments industriels, bien-être animal malmené lorsque les troupeaux sont en montagne sans berger pour les soins, pertes considérables de têtes de bétail en estive pour des raisons totalement étrangères à l’ours et aux grands prédateurs du fait de cette absence de bergers permanents en été, à cause de cette absence, incapacité à contribuer efficacement à une gestion écologique des estives, que ce soit du point de vue de la ressource herbagère ou de la biodiversité liée aux milieux ouverts, disparition des savoir-faire traditionnels adaptés au territoire etc.
Plus récemment, bien qu’un peu plus ancien, c’est le Parc Naturel Régional des monts d’Ardèche qui finit par botter en touche lui aussi, renonçant en quelques jours à tout un travail qu’il avait pourtant mené pour anticiper l’arrivée du loup dans ce département. La déception de ceux qui croyaient en ce parc pour la protection de la nature est énorme.
Nous venons d’apprendre en effet que le bureau syndical réuni le 18 septembre dernier au siège du parc a voté à l’unanimité des présents (21 voix sur 39) une délibération sans nuance où il :
» (…) Affirme la volonté du Syndicat mixte du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche : (…) compte tenu de l’incompatibilité avérée de cohabitation du loup et des activités pastorales sur le territoire des Monts d’Ardèche et considérant que la présence du loup est une calamité agricole, d’exprimer un soutien prioritaire à l’élevage. »
Le plus grave c’est qu’on déclare la cohabitation impossible avant même de l’avoir essayée et puis, nous voilà revenus aux « calamités » agricoles d’antan.
La claque en pleine figure des protecteurs de la nature est cinglante, le choix lamentable et intenable d’une biodiversité « choisie » (toujours la concurrence des biodiversités !) et d’un débat posé de façon manichéenne est clair. Qui détient le pouvoir au PNR des Monts d’Ardèche ?
Le rôle des parcs naturels régionaux qui se gargarisent de vocables comme « patrimoine exceptionnel », « espace pilote », « exemplarité », « pôle d’excellence » ne devrait-il pas plutôt être de proposer des solutions de cohabitation entre les prédateurs et le pastoralisme au lieu de condamner les premiers ? Ces parcs ne devraient-ils pas être par leur essence même les lieux d’expérimentation de cette cohabitation ?
Ces parcs ne devraient-il pas œuvrer à un vrai dialogue avec les agriculteurs plutôt que de se faire dicter la loi par certains d’entre eux ?
Ne devraient-ils pas sauter sur l’occasion pour proposer et aider la mise en place des mesures de protection des troupeaux de façon à ce que les éleveurs perdent moins de bêtes encore qu’avant le retour des grands prédateurs ?
(cf étude à consulter dans la partie « documentation » du site « Pays de l’Ours ADET » : « La protection des troupeaux », étude menée de 2003 à 2005 sur 37 élevages regroupés en 19 estives montrant qu’avec les chiens de protection, les pertes des éleveurs sont moins importantes depuis le retour de l’ours qu’avant son retour, avec des baisses de prédation atteignant 92 % !)
Pourquoi ne choisissent-ils pas d’œuvrer pour l’emploi en zone rurale en développant auprès des jeunes une filière professionnelle solide et fiable de bergers ? Dans les Pyrénées, le retour de l’ours a permis une revalorisation du métier de berger avec convention collective, congés payés…
Ne pourraient-ils pas œuvrer pour le territoire et travailler davantage à la valorisation des productions locales (genre Broutard, produit et valorisé sur place) afin que la viande ovine ne soit pas simplement bradée pour la fête de l’aïd ou que les agneaux à peine descendus d’estive ne soient vendus en Italie pour un engraissage aux aliments industriels comme c’est très majoritairement le cas ?
Voilà pourtant ce que le retour des grands prédateurs pourrait permettre, pour le plus grand bonheur ET du pastoralisme, ET de la biodiversité de nos territoires, biodiversité dans son ensemble et non triée pour arranger telle ou telle activité économique.
Voilà tous les enjeux que perdent de vue ces Parcs Naturels Régionaux en relayant sans agir la voix des agriculteurs anti-ours et anti-loup. A jouer le jeu de l’agriculture conservatrice, ils perdent leur rôle d’agitateur et de dynamiseurs du territoire, tout en se permettant d’utiliser une espèce protégée comme un vulgaire fusible pour faciliter l’entente avec un certain monde agricole. Ils trahissent ainsi leur propre nom. C’est un réel gâchis. Ces Parcs Naturels Régionaux sont-ils prêts à l’assumer ?
Ils passent assurément à côté de leurs responsabilités et de celles que la société attend d’eux, jouant un rôle rétrograde alors que l’une de nos priorités à tous devrait être de préserver ce qui reste de naturalité dans notre pays en encourageant celle qui, par chance, se reconstitue (retour des ongulés, du loup, de la forêt) ou celle à laquelle on donne un coup de pouce pour cela (lâchers d’ours jusqu’à reconstitution d’une population viable).
Faut-il insister sur le rôle bénéfique du loup sur la forêt pour réguler efficacement, et de façon équilibrée, les populations d’ongulés sauvages (chevreuil et cerf tout particulièrement) dont nous devons saluer le retour car en nombre, eux seuls sont capables de garder (et sans frais !) une mosaïque de milieux « ouverts », bien davantage que le seul pastoralisme ? Qui aura l’honnêteté de le dire enfin ? Où sont les scientifiques dans ces parcs régionaux ? Pense-t-on parfois au rôle du loup pour contribuer à réguler les pullulations de sangliers bien souvent dues à l’homme et à des politiques cynégétiques irresponsables ?
Halte aux tabous, profitons du retour de l’ours et du loup pour poser les vrais problèmes de nos espaces ruraux et du pastoralisme et résolvons les ensemble ! Sans oublier que nos activités s’inscrivent dans des écosystèmes dynamiques dont nous sommes responsables.
Le seul vrai combat de tous les écologistes, de tous les naturalistes et même de tout homme soucieux de l’avenir de son espèce et de la relation de cette dernière au monde vivant devrait être là : assurer une place à la nature au XXIème siècle.
Or partout, les espaces où la nature s’exprime régressent ou sont menacés. Ce n’est pas un monde fait uniquement de troupeaux de bétail et de champs agricoles, fussent-ils bios, que nous devons laisser à nos descendants. Certes, notre sécurité alimentaire est fondamentale. Mais ce qui l’est davantage encore, car, ouvrons les yeux, ce sera de plus en plus rare, c’est de laisser à nos descendants un monde où des écosystèmes complets et dynamiques existent encore, ours et loup inclus. Qui s’occupe véritablement de ça ? Quelles institutions ? Les Parcs régionaux cités plus haut ont montré leur échec et prouvent que l’on ne peut pas compter sur eux sinon pour jeter de l’huile sur le feu.
Or, transmettre de la nature dynamique, de la naturalité, voilà un véritable enjeu pour l’Humaineté (enjeu que certains nomment « biodiversité »), en parallèle (ni au-dessus, ni en-dessous !) de la nécessité impérieuse de préservation du climat de notre planète.
Ces Parcs Naturels Régionaux nous le montrent : une fois de plus, les agriculteurs sont bien assez forts pour se défendre eux-mêmes, c’est la Nature et la naturalité qui ont besoin de nous !
Avons-nous choisi d’adhérer à des syndicats agricoles ou à des associations de protection de la Nature ?
Une proposition pour finir : que l’on renomme certains Parcs NATURELS Régionaux qui ne sont en réalité que des Parcs AGRICOLES régionaux, ce serait plus honnête tant ils trahissent leur mission historique vis-à-vis de la nature et de la naturalité et pire, vis-à-vis des redoutables enjeux du XXIème siècle.
A nous, protecteurs de la nature, de cesser de perdre notre temps en essayant de faire de la protection de la nature dans ces structures. C’est bel et bien ailleurs que cela se passe, une fois de plus hélas. Et posons-nous la question du pourquoi. Mais là… c’est une autre histoire… et comptez sur moi pour y revenir.
Faucon Crécerelle
Photo : parc naturel des Monts d’Ardèche (Mont Mézenc)