Parler de la nature en la méprisant

Parler de la nature en la méprisant

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Par Farid Benhammou, géographe, docteur de l’ENGREF-Agro Paris Tech

Dans le dossier des prédateurs, et surtout de l’ours, l’usage d’un discours environnemental pour faire exactement le contraire est fréquent. L’Institution patrimoniale du Haut Béarn prétendant sauver les ours pyrénéens en est la plus belle illustration. Hélas, les autorités en sont les premiers complices, bon gré mal gré, comme l’illustre à l’été 2009 la nomination par le préfet des Hautes-Pyrénées, donc l’État, de la présidente anti-ours de l’ASPP 65 , au siège du Conseil d’administration du Parc national des Pyrénées dévolu aux associations de protection de la nature. Pourtant, elle y était déjà au titre de la Chambre d’agriculture.

Face au tollé (relatif) suscité, le préfet est revenu sur cette décision, mais le mal était fait. Quelle lisibilité les pouvoirs publics veulent-ils donner en matière de protection de l’ours et de l’environnement ? Le Figaro a relayé l’information au plan national et l’ASPP 65 a pu communiquer triomphalement :

« cela vient briser des décennies d’un monopole où il n’y avait qu’eux pour parler des petits oiseaux, des fleurs et se gargariser de « faire » de la biodiversité en transplantant dans les Pyrénées des ours venus de Slovénie. Cela vient perturber le fonds de commerce de ces associations nombreuses et variées mangeant à la « gamelle » de l’ours sous prétexte de biodiversité à bon compte. »

Ce propos méprisant va de pair avec une dénonciation des vautours et d’autres espèces sauvages, belle association pour défendre la protection de la nature ! Ce type d’organisation, comptant peu de membres, est le reflet de l’idéologie poujadiste et populiste anti-environnementale de certains élus ruraux notables. Ces élus cherchent systématiquement à dénier la légitimité environnementale des protecteurs de la nature, défouloir facile des maux complexes des zones rurales. En pseudo-humanistes, ils recentrent la « vraie protection de la nature » sur l’Homme, alors qu’il s’agit plutôt de défendre les intérêts de certains groupes humains.

Voir le débat simplifié sur le pastoralisme « traditionnel » comme seul garant de la biodiversité de montagne, alors que cet élevage n’a plus rien de traditionnel depuis des décennies. Or par un processus de pouvoirs périphériques, ces derniers ont une grande influence sur les préfets, censés appliquer la loi de la République. Ainsi, celle-ci se retrouve modifiée voire contraire à l’esprit initial. Le nouveau plan loup, en donnant l’initiative du tir aux préfets, au lieu de gagner en souplesse, va davantage le soumettre aux pressions des lobbies locaux. Sans parler de l’élevage, le lobby de la chasse de plus en plus ouvertement anti-loup et anti-ours a véritablement le vent en poupe.

L’absorption de CPNT par l’UMP, peu étonnante, annonce une poursuite du recul de la protection de la biodiversité, remplacée de nouveau par la notion de nuisible dès que celle-ci gène un peu. Il est triste que les autorités censées défendre les intérêts environnementaux généraux soient si perméables à ces tendances. Certes, les pouvoirs publics ne sont pas monolithiques, des agents et administrations oeuvrent sincèrement pour faire progresser la prise en compte de la nature par les intérêts humains. Les associations, chercheurs, experts et citoyens ont intérêt à œuvrer dans ce sens. Cette coalition des « faibles » finira peut-être par donner du contenu à la protection de la nature présente dans tous les discours, y compris les plus rétrogrades.

1 La présidente de l’ASPP, Association pour la sauvegarde du patrimoine pyrénéen

Farid Benhammou est l’auteur de Vivre avec l’ours et Ours, Loup, Lynx : une protection contre nature ?, en vente à la boutique de Ferus. Il est également l’auteur de la thèse Crier au loup pour avoir la peau de l’ours.

Cet article a été publié comme éditorial de la Gazette des grands prédateurs n° 33.

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