Il n’est pas question de « plaintes » au sens des codes de droit français. Lorsque la Commission est saisie d’une infraction supposée, elle interroge le gouvernement concerné (en l’espèce le gouvernement français) et au vu de sa réponse décide, ou non, de continuer par un « avis motivé ». La phase de procès proprement dite devant la Cour européenne de justice n’intervient que bien plus tard, si l’Etat averti n’a pas corrigé sa politique.
FERUS et le WWF ont saisi Bruxelles parce qu’ils estiment que le protocole ne respecte pas la Directive habitat.
Mais ce sont les juges français que nous saisirons au coup par coup en cas de « bavure ».
Paris le 30 juin 2006
Note à l’attention de la Commission (Direction Générale numéro 11) sur les destructions de loups en France.
Par arrêté publié au Journal Officiel de la République française le 18 juin 2005 page 10369, le gouvernement français a autorisé le prélèvement de six loups dans les Alpes françaises pour l’année 2005 (autorisation valable jusqu’au printemps de 2006).
- 1) Le WWF France et FERUS, association qui protège les grands carnivores en France, ne sont pas opposés par principe à toute intervention sur des individus appartenant à l’espèce canis lupus. Notre objectif est le rétablissement partout où il est possible de populations en bon état de loups, d’ours et de lynx pour ne mentionner que les trois grands prédateurs, et cette entreprise implique forcément des concessions ponctuelles pour faciliter l’acceptation de ces animaux.
- 2) Nous doutons que la population française de loups soit en 2005 en état de conservation favorable. Les effectifs minimaux évalués après pistage hivernal sont de 39 à 48 loups « résidents ». Les effectifs totaux estimés à partir d’une extrapolation des captures-marquages-recaptures d’ADN pour les années antérieures à 2002 seraient de 80 animaux environ. 10 à 13 meutes ont été identifiées dont cinq sont transfrontalières (elles vivent en partie en Italie), la reproduction ayant été prouvée dans 7 ou 8 meutes. Ces données proviennent de l’ONCFS et ne sont pas contestées par nous.
Il est toujours délicat de dire précisément ce qu’est l’état de conservation favorable d’une population. Dans le cadre de la LCIE et du plan d’action pour la conservation des loups en Europe, dont le rapporteur est Luigi Boitani, et à la rédaction duquel participaient la majorité des scientifiques experts internationaux du loup, il est mentionné au point 4.6.1 (« aspects biologiques de la restauration ») « qu’un minimum de 15 couples reproducteurs, c’est à dire peut être cent loups, pourraient suffire, ce qui dans les meilleures circonstances exigerait une zone continue de 2000 km2 occupée par le loup ».
En France même si les chiffres montrent une croissance indéniable le nombre total de loups est insuffisant, le nombre de meutes devrait être multiplié par deux, les meutes transfrontalières composent aussi le patrimoine italien que les Français vont entamer unilatéralement, enfin les territoires occupés par le loup sont encore très fragmentés et la sécurité procurée par la continuité spatiale qui favorise la survie des petites populations n’est pas assurée.
- 3) Nous contestons la lecture et l’application que les autorités françaises font de la directive CEE n° 92-43 du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage.. Le texte de l’arrêté du 18 juin paraphrase la directive comme pour prouver qu’il en a été tenu compte. Mais le gouvernement ne démontre jamais que la population est en état de conservation favorable. Il a d’ailleurs fondé depuis un an sa stratégie sur les calculs de dynamiciens des populations de loups qui ont démontré que si l’on prélevait un pourcentage nettement plus faible que l’accroissement constaté on ne compromettrait pas la croissance globale de la population même si on la ralentissait (ce qui est un des buts recherchés mais inavoués). En réalité la directive dans son article 16 dit clairement que les dérogations ne doivent pas nuire au MAINTIEN dans un état favorable de la population concernée. Il suffit de constater que cet état n’a pas encore été atteint pour que toute dérogation soit impossible.
- 4) Nous dénonçons le flou du protocole qui accompagne l’arrêté et sert de guide aux décisions ponctuelles de tir des préfets. L’effarouchement est recommandé mais ne constitue pas une condition préalable obligatoire. La mise en place de mesures de protection des troupeaux dont on sait qu’elles sont très efficaces ne sont pas non plus une condition préalable absolue. Les préfets pourront « moduler » les recommandations ministérielles pour les adapter « là ou les mesures de protection seraient difficilement applicables » ou « dans les zones de colonisation, où l’organisation des territoires et de l’élevage conduisent à des dégâts difficilement évitables par des protections ».
L’utilisation de clôtures électriques appropriées ( qui sont installées avec succès en Croatie dans le cadre du Life en vigueur ) n’est pas encore recommandé en France où l’attention s’est trop focalisée sur les troupeaux pâturant en haute montagne.
La notion de « dommage importants » est elle aussi laissée dans le vague, on vient de voir en Isère que dans une zone encore peu fréquentée par le loup l’émotion était très forte lors de la première attaque et que quelques animaux tués sont qualifiés de dommages importants alors qu’ils sont très bien et très rapidement indemnisés.
- 5) Nous estimons que l’organisation globale du dispositif est un appel à réaliser le plan de tir de six loups (chaque préfet soumis à une grande pression de la part des éleveurs et des élus aura à cœur d’agir vite, quiconque prêcherait la sagesse et la patience risquerait de ne plus pouvoir tuer de loup une fois le quota de six réalisé). Il s’agit donc plus de l’esprit d’un plan de chasse (il faut tuer six loups) que d’une application de la directive (on ne pourrait en tuer que par dérogation mais l’essentiel est la protection de l’espèce). Les chasseurs français ne s’y sont pas trompés puisqu’ils se sont organisés pour participer aux tirs.
- 6) Le WWF France et FERUS estiment que tout n’est pas critiquable dans l’approche du gouvernement français, notamment ils approuvent l’esprit général de son plan d’action pour le loup qui tend à favoriser l’acceptation de l’espèce par le monde de l’élevage en organisant de façon très complète la protection des troupeaux, la prévention des attaques et l’indemnisation des dommages.
Les deux associations ne se satisferaient pas de l’apparition en France de zones de « non droit » où le loup serait protégé strictement sur le papier mais où il serait braconné à une large échelle comme c’est malheureusement le cas dans plusieurs pays européens.
Mais elles demandent à la Commission d’obtenir du gouvernement français qu’il respecte scrupuleusement l’esprit et la lettre de la directive de 1992 et qu’il cesse de faire croire qu’il en tient compte tout en mettant en œuvre des dispositions pratiques qui lui tournent le dos.
WWF France / FERUS