Extraits d’un « Petit bilan d’une « grande » mission »
par Eric S – 46 ans – éco-bénévole pastoraLoup 2007
Concernant l’immersion dans le milieu des pastres, l’ambiance était au rendez-vous. La cabane qui nous servait de camp de base se trouve à 2 heures de la civilisation dont une à pied. Il y avait tout ce dont j’avais rêvé, de grands espaces, une vie rustique (plus d’eau la deuxième semaine), des compagnons rustiques eux aussi, pleins d’animaux : 1 berger, 4/5 chiens de conduite, 4 patous, 2 mules, 6 ânes, 1700 brebis et …des loups.
Quant à la surveillance, c’était plutôt mouvementé : Des attaques, les patous qui gueulent dans les ravins, le troupeau qui panique et cours dans tous les sens (y compris contre ma tente) et on ne parvient pas à voir ce qui se passe. Alors le matin, on compte les victimes, plus les blessés et les portées disparues. 1700 brebis, la nuit dans le bois, ça s’étale…difficile pour les chiens et « l’éco-loup »
Mis à part ça, j’ai eu de supers moments de randonnée, de solitude, seul le soir avec le troupeau et les étoiles…
Ca a été aussi l’occasion d’être face à moi-même, à mes peurs aussi. Pas la peur des loups. Celle-ci est facile à objectiver, le risque est quasi nul. Non je parle des vieilles peurs irrationnelles. Vous savez, celles qui font qu’un petit frisson vous parcourt, quand vous marchez seul dans la forêt en pleine nuit pour rejoindre le troupeau à la couchade.
Et puis enfin, j’ai beaucoup, beaucoup marché…J’ai arpenté les ravins pour retrouver les victimes (un grand merci aux vautours), j’ai ré-arpenté pour aller faire les constats avec « la Garde », j’ai marché pour aller me laver au ruisseau (de temps en temps), marché pour emmener boire les ânes et les mules, marché pour aller chercher de l’eau (source tarie), marché tous les soirs de la cabane à ma tente avec les croquettes des patous, marché pour changer de cabane, marché pour aller aux provisions, marché pour retrouver les « escarades » coupées du reste du troupeau … ce fut un vrai plaisir malgré la grande fatigue qui m’envahit la deuxième semaine.
Ferus nous l’avait bien dit : « c’est pas une promenade de santé »
C’est vrai, mais néanmoins, je n’ai à aucun moment regretté de m’y être engagé. Ca reste une aventure inoubliable, de celles qui contribuent à notre bonheur…
« Vivre avec les brebis … »
Extrait d’un article réalisé par une bénévole en mission dans le Mercantour, Geneviève G pour une revue environnementale belge – automne 2007
… Toutes ces mesures de protections permettent de réduire considérablement les prédations en rendant l’accès aux animaux domestiques difficiles. Elles sont, avec les remboursements des dégâts, largement financées par l’Etat français. Mais les associations relèvent aussi le défi du changement. Par exemple, en ce qui concerne le loup, depuis 1999 le projet Pastoraloup s’inscrit dans une démarche de dialogue et de concertation avec le monde de l’élevage, à la recherche de réponses qui respectent les intérêts du pastoralisme et de l’environnement.
…Tout au long de l’estive, une soixantaine d’éco-bénévoles se relayent pour dormir sous tente, la nuit auprès des troupeaux…Ils viennent de toute la France, mais aussi de Suisse et de Belgique (votre serviteur)
Ma mission devait durer deux semaines, à cheval sur les mois septembre et octobre. Le premier jour, il faisait encore très beau en journée, dans la vallée la Tinée, au cœur du Parc national du Mercantour. C’est, là, dans ce parc, à 2146 mètres d’altitude dans « le creux de Sadour » que le berger – éleveur vient chaque année offrir la bonne herbe des alpages à son troupeau de 1500 bêtes environ. Des rouges de Péone, une espèce rustique élevée pour sa viande. Thierry possède lui-même plus de 400 moutons et un âne. Le reste du troupeau appartient à d’autres éleveurs. Il y a aussi quelques chèvres.
Cela fait des siècles que les hommes font paître leurs moutons, chèvres ou vaches dans le massif. Les activités agropastorales sont à l’origine de la richesse du milieu naturel aujourd’hui protégé et restent indispensables à leur maintien. Pour revenir en France, le loup avait d’ailleurs « choisi » ce sanctuaire de la vie sauvage.
« Au début il y avait beaucoup plus d’attaques, on dirait que les loups, ici en tout cas, il y en a moins » explique Thierry. Depuis plusieurs années, il fait appel à des éco – bénévoles pour l’aider à protéger le troupeau, mais il n’a pas voulu accepter l’aide proposée par l’Etat : « trop de contraintes et il faut s’engager pour cinq ans » Il a pris ses propres mesures : plusieurs chiens patous, des clôtures et des batteries solaires portables afin d’installer un parc électrifié de nuit. « Tout ça me coûte en moyenne 1500 € par an si je compte aussi la nourriture pour les bénévoles »
N’est pas berger qui veut. Il faut savoir vivre près des bêtes sur l’alpage au cœur de la nature. Les dénivelés importants rendent la marche pénible : les drailles, sorte de longues pistes faites par le passage répété des brebis, n’ont rien à voir avec les chemins balisés des randonneurs.
Tous les deux jours, le troupeau doit redescendre à 1600 m pour boire dans le torrent qui descend au village de Vignols : hameau typique des siècles passés où plusieurs ruines de pierres ont été réhabilitées en résidence secondaire. Thierry y a une petite baraque et un deuxième parc de nuit pour ses bêtes. Cette année il fait particulièrement sec, aucune pluie depuis fin juin et tout le paysage est jaune paille : « En 50 ans, on n’a jamais vu cela », racontent les habitants de Vignols.
Les brebis, elles, n’en font que plus de déplacements entre la rivière et les pâturages en altitude. Parfois, quelques téméraires s’échappent vers d’autres quartiers. Celles qui sont blessées ou boiteuses restent à la traîne. Ne représentent-elles pas des proies rêvées pour le prédateur ? « Non, le loup ne s’intéresse pas aux boiteuses, ni aux malades. Sur ce point, Thierry et un berger voisin, sont formels : « le loup va au rail ! » Il attaque toujours le troupeau.
Cette année, c’est plutôt calme, mais il n’est pas impossible que le troupeau ait subit une attaque discrète. Avant mon arrivée, c’était après un jour de brouillard, il a retrouvé, par hasard, trois carcasses dans un vallon. « Mais ces foutus vautours avaient déjà tout nettoyé, plus moyen de prouver quoique ce soit pour les indemnités. » Les loups viennent par mauvais temps quand personne n’y voit rien, même les patous. « Car ces bêtes-là cherchent toujours la faille »
Le mauvais temps est arrivé fin de la semaine. Il change vite en montagne et il est sans pitié. En 24h, nous sommes passés de la fin de l’été aux tempêtes de neige, aux nuits de gel et, enfin, à la pluie. Par mauvais temps, lorsque les brebis se déplacent sur l’alpage, on ne peut plus apercevoir le troupeau en entier, il faut tendre l’oreille : le tintement des clochettes, les bêlements : sont-ils normaux, de quel côté viennent-ils ?
Pour ma part, le mauvais temps aura eue raison de mes motivations d’éco-bénévoles ! Et je me pose des questions sur mon utilité : si c’est justement quand il fait trop mauvais pour dormir dehors ou surveiller le troupeau de près que le loup attaque… Comment faire ? Peut-être en montrant qu’on est simplement prêt – selon ses moyens – à donner un coup de main, même maladroit ou symbolique. « Si le retour de ces prédateurs ça intéresse tout ce monde, pourquoi est-ce que c’est les bergers seuls qui doivent payer pour ? » se demandait toujours Thierry.
Paroles de bénévoles …
Cela reste une expérience enrichissante pour moi-même, car dans la nature on est toujours un peu face à ses limites, à chacun de choisir de les dépasser ou de les respecter. Après une mission, on veut aussi connaître l’écho d’autres bénévoles :
- Christian, chef d’entreprise, était parti en juillet dans le Verdon, auprès d’un berger qui avait connu une attaque fin juin : « Il y a eu trois brebis de perdues, mais qu’une seule carcasse retrouvée. »
« Mon travail ? Amener le troupeau de 1800 bêtes au parc de nuit tous les soirs et nourrir les patous. Les zones d’estives se sont considérablement couvertes d’arbres en moyenne montage depuis quelques dizaines d’années et la protection de 1800 bêtes, dans une forêt me paraît utopique si le loup est dans les parages, les patous me semble l’outil le plus efficace. » Tous les bergers avec qui Christian a pu discuter sont persuadés que le loup a été réintroduit. Les mesures de protection sont prises à contre cœur, mais Christian peut les comprendre « Il ne faut pas oublier que le métier de ce berger c’est de produire des agneaux de très bonne qualité pour la viande. Les dénivelés imposés aux brebis gestantes pour les mettre dans le parc le soir diminuent leurs résultats, sans compter les risques de blessures et le stress des bêtes en cas d’attaques. » - Yoann était intéressé par le projet de Pastoraloup car, bien sûr, il aime la faune sauvage, mais aussi parce qu’il ambitionne de devenir berger et éleveur : « Je voulais avoir un aperçu de la profession ».
Parti en mission dans les Alpes-Maritimes, il est resté convaincu que la cohabitation entre le pastoralisme et les grands prédateurs est possible. « Evidement, j’aimerais mettre sur pied un autre type d’exploitation ; avoir un troupeau d’ovins, de bovins ou de caprins, mais de laitières. C’est moins risqué vis-à-vis des prédateurs : le troupeau est souvent plus petit et il rentre chaque soir à l’étable (pour la traite) et ça diminue de beaucoup les risques de prédations ».
« Je ne pense pas que j’aurais du mal à m’installer dans une zone à loup ou, même, dans les Pyrénées où vivent des ours. Pour moi, ce sera une contrainte de départ, je connais les mesures nécessaires à prendre, je les ai observées ; je ne devrais donc pas « changer » pour m’adapter au retour du loup ou de l’ours ! » - Danièle, biologiste, était en mission dans les Alpes de Hautes Provence, dans la vallée de la Bléone, auprès d’un troupeau de 1000 brebis déjà gardées par deux patous. C’est une zone où vit une meute de 5 à 7 loups. « Pendant les deux semaines de mission, ce fut calme, juste quelques nuits agitées, pourtant le berger avait subit une attaque début juin. » Danièle a réalisé à quel point : « chaque berger a sa méthode et l’environnement du quartier (lieu où le troupeau pâture) est déterminant. Le berger avait pour principe de ne pas contrarier ses brebis, ils les laissaient en « couchade » libre pour la nuit. »
« Cela n’a pas simplifié mon travail de bénévole. Pour monter ma tente près du troupeau pour la nuit, il y avait plusieurs couchades, à une heure de marche de la cabane du berger. Les brebis choisissaient où dormir en fonction du temps » Or, le temps en montagne change vite. « Un jour, qu’il faisait couvert, je me suis préparée à descendre vers la couchade « des mauvais jours », mais en pleine après midi, voilà qu’il y a eu une superbe éclaircie et les brebis étaient remontées tout en haut ! »
Danièle compare la situation avec Suisse d’où elle vient : « En Suisse, aussi c’est très différent. D’abord, il n’y actuellement que 5 loups officiellement observés. Les bergers et éleveurs n’en sont pas ravis. J’aimerai lancer un projet pilote sur base de ce que fait Pastoraloup. Mais il y a beaucoup de tout petit troupeau d’une cinquantaine de bêtes soit de moutons, de chèvres ou de vaches. Pour un si petit nombre, demander aux éleveurs d’investir dans des moyens de protection sera encore plus difficile. Il n’existe pas de solution toute faite. »
Décidément, si des grands prédateurs ont réussi à se réadapter à la présence de l’homme, ce dernier n’a pas fini de s’adapter à leur retour.