Triste tropisme : l’étau juridique se resserre sur le loup

Triste tropisme : l’étau juridique se resserre sur le loup

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Le 03 décembre 2024, le Comité permanent de la Convention de Berne du Conseil de l’Europe a voté le déclassement du statut de protection du loup qui va passer d’espèce « strictement protégée » à simplement « protégée ». En plus de mettre en péril la survie de l’espèce cela ne constitue pas une solution efficace pour les éleveurs.

Cette décision fait suite au vote de la Commission Européenne pour une proposition d’amendement des annexes II et III de la Convention de Berne datant du 26 septembre 2024. Mais la modification n’entrera en vigueur qu’à partir du 03 mars 2025, sauf si un tiers des parties (17) s’y oppose d’ici là. Pour rappel, depuis 1982, la Convention de Berne assure l’interdiction de destruction, de perturbation, de détention et de faire commerce des espèces strictement protégées dont le loup, entre autres, fait partie. La Commission Européenne a déjà annoncé la révision prochaine des annexes IV et V de la directive Habitats pour s’aligner sur cette décision à l’échelle de l’UE*.

Cela s’inscrit dans un contexte très tendu après un an de crise sous la pression des agriculteurs, de l’Union Européenne et plus particulièrement de Ursula von der Leyen, actuelle présidente de la Commission Européenne. La France quant à elle a aussi sa part de responsabilité. L’objectif de déclassement du loup apparaissait déjà dans le Plan National d’Actions 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage. L’arrêté ministériel émis le 21 février 2024 avait aussi prévu de nouvelles dérogations facilitant les tirs de loups sur le territoire français**. 

Un vote démagogique sans fondement scientifique

Cette décision est strictement politique et ne s’appuie sur aucune source scientifique pour la justifier à cette échelle. Il y a de grandes disparités entre les États qu’il faut prendre en compte à ce sujet. En France par exemple, la population lupine reste dans un état de conservation précaire. Plus généralement, 6 des 9 populations de loups présentes dans l’Union européenne sont classées vulnérables ou quasi-menacées (selon la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN).

À ce jour, aucune étude n’a prouvé que les tirs létaux permettent de prévenir les dommages sur les animaux d’élevage. Cette décision est donc infondée et montre que la parole scientifique n’a pas sa place dans le débat. Mais c’est aussi un mensonge de faire croire au monde agricole que les tirs létaux sont la solution prioritaire pour gérer la présence du prédateur. Car une telle décision vise à faciliter les démarches administratives de demande de dérogation mais elle laisse surtout croire que plus de loups pourront être tués très prochainement. Ce qui est faux car les gouvernements ont toujours la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour que ces prélèvements restent compatibles avec le maintien de la population dans un état de conservation favorable***.

De plus, cette décision omet le fait que les loups sont aussi des éléments fonctionnels, interactifs et dynamiques des écosystèmes européens (selon la Large Carnivore Initiative for Europe). Ils jouent, par exemple, un rôle fondamental dans la régulation des ongulés sauvages. Plus largement, il est préoccupant de constater que ce vote va à l’encontre de l’avis d’une majorité des citoyens européens. Des enquêtes représentatives réalisées au cours des deux dernières décennies révèlent qu’environ 70 % des Européens soutiennent le retour des loups et leur protection.

Aujourd’hui, on sait que le fait de bien protéger un troupeau permet de réduire significativement les dommages causés par les attaques de loups. Mais les initiatives mises en place par les gouvernements de nombreux États pour prévenir ces dommages et promouvoir la coexistence sont loin d’être suffisantes, en particulier dans les pays et les zones où les populations de loups sont absentes depuis des décennies.

Tuer toujours plus de loups : une « solution » contre-productive

Tuer plus de loups, cela semble être la solution miracle si l’on en croit certains élus et syndicats d’éleveurs. Mais cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur les populations de loups et, par conséquent, sur l’élevage.

D’une part, parce qu’un loup mort est un loup qui n’apprend rien et sa meute encore moins. Faciliter les tirs létaux sur des individus risque de n’avoir qu’un impact immédiat sur la pression de la prédation, mais des conséquences désastreuses sur le long terme. Certes, le loup tué n’attaquera plus, mais le reste de la meute et des autres loups n’auront pas appris qu’il est dangereux de s’en prendre aux animaux d’élevage. Quand il y a prédation malgré une bonne protection des troupeaux (parcs, chiens, présence humaine) les tirs d’effarouchement sont beaucoup plus efficaces car les loups associent alors la présence d’animaux domestiques à une présence humaine potentiellement dangereuse et chercheront à l’éviter.

D’autre part, éliminer un loup au sein d’une meute constituée provoque plutôt la dispersion de ses membres. Cela peut avoir pour effet de multiplier les fronts de colonisation du loup et, par conséquent, les attaques sur les troupeaux.

En France, un bilan très mitigé et des perspectives peu réjouissantes

Selon le communiqué de presse de la préfecture Auvergne-Rhône-Alpes et suite à la réunion du GNL (Groupe National Loup) du lundi 16 décembre 2024, l’estimation du nombre de loups en France s’établit désormais à un effectif de 1013, avec un taux de confiance de 95 %. Elle est donc en baisse par rapport à l’estimation de 1096 loups en 2022. On constate par ailleurs une baisse significative du taux de survie des animaux reproducteurs qui sont les plus contributeurs à la dynamique de la population.

Le suivi de la population lupine permet de contrôler l’état de conservation de l’espèce. Cette valeur est aussi utilisée pour fixer le plafond de tirs dérogatoires destinés à la défense des troupeaux en situation d’attaque de la part du loup. Ce chiffre s’élève à 192 destructions de loups autorisées pour 2025. Son annonce a provoqué une vague de colère dans le monde de l’élevage, qui considère que ce n’est pas assez compte-tenu des dégâts grandissants sur les troupeaux. Mais du côté des associations de protection de la nature la colère n’est pas moins au rendez-vous. Nous estimons que ce chiffre est beaucoup trop élevé si l’on s’en tient au mauvais état de conservation de l’espèce.

Voir aussi : Les mauvais résultats d’une gestion « politique » du loup

Et après ?

Ces deux nouvelles qui tombent quasiment simultanément en cette fin d’année n’annoncent rien de bon pour la suite. D’un côté, la décision de déclassement du statut de protection du loup peut inquiéter dans un contexte où l’Union Européenne multiplie les entorses aux règles environnementales pourtant si indispensables et fragiles. Elle constitue un dangereux précédent, ouvrant la voie à d’autres déclassements d’espèces possibles sans prendre en compte les connaissances sur l’état réel des populations. D’abord le loup et après pourquoi pas l’ours (qui est déjà dans le viseur de certains partis politiques européens), le lynx, les cormorans, …

Et de l’autre, le nombre de loups présents en France qui stagne, voire décline selon les estimations officielles, alors même que l’espèce n’a pas atteint son « état de conservation favorable ».

Il faut surtout accepter que la présence du loup est une réalité durable et que la seule voie possible est celle de la coexistence. Des mesures de protection efficaces ont déjà fait leurs preuves en ce sens : chiens de protection, clôtures, présence humaine, tirs d’effarouchement. Et des études sont menées pour en développer d’autres. La prédation constitue bel et bien une pression sur le travail des éleveurs et des bergers face à laquelle il n’existe qu’une seule solution durable : accompagner la profession parallèlement à la préservation du loup, comme le fait FERUS depuis plus de 20 ans avec ses programmes de terrain comme Pastoraloup.

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* Avec ce déclassement, le loup passera de l’annexe II (strictement protégé) à l’annexe III (protégé) de la Convention de Berne. L’annexe III prévoit une exploitation possible de l’espèce, selon une réglementation bien précise. À ce stade dans les États membres de l’UE, la directive Habitats continue de s’appliquer inchangée (le loup apparaissant à l’annexe IV c’est-à-dire comme espèce strictement protégée).

** Une consultation publique a été ouverte le 22 décembre 2024 pour un projet d’arrêté qui vise à faciliter d’avantage encore les autorisations de tirs prévues par l’arrêté de février 2024. Le 13 décembre 2024, on décomptait 202 loups tués en France, dont 8 destructions illégales d’après les chiffres communiqués par la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes.

*** « L’état de conservation » est considéré comme « favorable », lorsque la dynamique de la population de l’espèce sous-tend une viabilité de sa population dans les habitats naturels qu’elle occupe, son aire de répartition naturelle ne diminue pas ou ne risque pas de diminuer, ses habitats naturels se maintiennent sur une superficie suffisante pour assurer la préservation de l’espèce à long terme.