Une rencontre entre chien et lynx. Par Pierre Rigaux
Article paru dans la Gazette des grands prédateurs n°62 (décembre 2016)
Juillet 2016. Une semaine à parcourir les forêts du Jura, d’abord sans rien trouver. Si ce n’est de belles ambiances, de beaux recoins forestiers. Avec leurs habitants. Ceux qu’on croise au quotidien et qui rendent les sous-bois frémissants, chevreuils envolés d’un bond, écureuils farfouillant. Ceux dont la rencontre est plus hasardeuse, comme ce chat forestier chassant en lisière ou cette martre qui gambadait peinarde, le long d’une petite route en début de soirée, encore dans la lumière. Tant de beauté, c’est déjà très émouvant.
Mais pas de trace du maître des lieux. Pas de trace du grand chat. Bredouille. On se contenterait d’une empreinte, mais rien pendant des jours, les yeux scrutant pourtant le sol à n’en plus pouvoir. Jusqu’au moment où nous la vîmes : une simple empreinte de lynx, nettement marquée, indiscutable. Voilà, prospection terminée, aboutie. On n’en demandait pas tellement plus. A moins que…
Plusieurs soirées et matinées d’affût n’ont rien donné. L’affût, pour moi, c’est simplement être assis à découvert, sans tente ni filet, sans camouflage. Je n’ai jamais aimé me cacher sous un artifice pour voir les animaux sauvages, pour leur tirer le portrait façon voyeur derrière la cloison. Envie de faire partie du même monde qu’eux, ici, chez nous, chez eux. S’ils ne se montrent pas, tant pis. Si l’un d’entre eux apparaît, près ou loin, on est dans le même espace.
« Un lynx ». Deux mots prononcés à voix basse pour avertir mon amie qui scrutait dans une autre direction. Le félin est apparu sortant de la forêt, dans une prairie. Il est à plusieurs centaines de mètres de nous. C’est le soir mais on le distingue parfaitement. Il s’est arrêté. Il regarde autour de lui puis reprend rapidement sa traversée à découvert, jusqu’à plonger dans une autre lisière. Quelques minutes passent. Le temps pour nous d’être aux anges.
Autre lisière, le revoilà. On n’en demandait pas tant. Il est assis à l’orée du bois. Il scrute les alentours, à droite, à gauche. Attitude sans équivoque : un prédateur en quête de proie. Nous sommes trop loin pour qu’il puisse nous identifier, immobiles. Cette fois, je prends le temps de filmer la scène. Pas de chevreuil à l’horizon. Le lynx finit par se lever. Il longe la lisière. Sa silhouette se détache nettement, haute, mince, athlétique. Il entre en forêt, s’évanouit d’un bond.
Assis dans l’herbe, nous savourons sans bouger le souvenir tout frais de cette double apparition. Le chien de mon amie est attaché à une dizaine de mètres derrière nous, couché. On s’amuse de savoir qu’il n’a rien vu, perdu dans ses pensées.
Tout d’un coup, un léger grognement du chien nous fait nous retourner. Extraordinaire. Le lynx est là. De profil, figé dans sa marche, la tête tournée vers le canidé à quelques mètres. Ils se fixent du regard. Le chien est debout, la laisse tendue. C’est un petit berger de 17 kg qui paraît si petit, inquiet. Le lynx paraît si haut sur pattes, en alerte mais tranquille. Pour nous, assis à découvert, si près de lui, cet animal est d’une beauté stupéfiante. Il toise encore le chien pendant quelques secondes puis détourne la tête, fait quelques pas rapides et disparaît dans un bruissement de fourrés. Il ne nous aura pas accordé un regard.
Vidéo à visionner sur la page Facebook de Pierre Rigaux – Naturaliste.
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